Fille perdue au supermarché

Stan de Marillac est une fille comme les autres, c'est pour ça qu'elle sait si bien en parler.



Petit bonheur
Elle adore s’absorber dans des tâches aussi futiles que compter les marches des escaliers, les réverbères des rues, déchiffrer les plaques d’immatriculation ; cela détourne son attention de toute autre chose d’importance. Elle ne veut plus rien savoir que ces mille et un détails tellement exagérés qu’ils occultent le reste, la vie.
Elle jouait à se balancer au-dessus du contenu de son caddie qu’elle poussait nonchalamment, au rythme de la queue, à la caisse de la supérette. Elle veillait toutefois à ne pas cogner les enfants devant elle, dont le manège finit par l’intriguer assez pour la tirer de sa pseudo-torpeur.
Ils devaient être âgés d’à peine dix ans, tous, deux garçons et une petite jeune fille, ce qui les autorisait encore à ricaner pour un rien, la bouche cachée derrière le rideau de leurs mains poisseuses. Ils se retournaient régulièrement vers elle, qui leur souriait gentiment, avec indolence, puis resserraient leurs têtes dans un même mouvement pour se chuchoter de drôles de confidences.
La scène se répéta plusieurs fois jusqu’à ce que la jeune demoiselle, apparemment plus hardie que ses deux comparses, l’interpelle :
« Vous savez, madame, ce qu’ils disent ?
— …
— Ils disent que vous êtes très belle. »
Et les garçons de se récrier haut et fort avant d’approuver gravement.
Comme quoi les tâches ménagères les plus anodines recèlent des émotions insoupçonnées et inattendues pour peu qu’on y soit attentif et réceptif.
Elle n’était pas préparée à un tel bonheur.
pp. 25-26.

Filles perdues, de Stan de Marillac
dessin de Tchac

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