La Crêpe passe à la casserole

Première critique du Goût de la crêpe au chocolat !


Si les Agents littéraires ne m’avaient pas proposé ce roman, il est probable qu’il n’aurait pas croisé ma route. En effet, ce site a été créé pour aider les éditeurs indépendants et les auteurs auto-édités à se faire connaître grâce au principe « une critique = un livre ». Enthousiasmée par ce projet, c’est avec plaisir que j’ai accepté de recevoir ce premier roman de Léna Ellka, publié aux éditions Lunatique.

Cet auteur relate dans ce récit deux destins, à deux époques assez éloignées, mais qui suivent une trajectoire semblable : un départ pour l’Ailleurs, avec l’espoir que ce sera mieux que l’Ici. Tandis que Jerk rêve sa crêperie sur la République Dominicaine, Luis, au 15e siècle, envoie ses songes dans l’Amérique récemment découverte par Christophe Colomb, terre encore vierge et inconnue pour ces Occidentaux chercheurs d’or et/ou doux rêveurs. Très vite, tous deux vont être confrontés à la réalité, souvent moins belle que leur espérance. Néanmoins, cela ne les décourage pas : demain viendra et sera plus heureux, plus coloré, plus… Toujours mieux qu’aujourd’hui. 


On retrouve donc dans ce roman de manière (à peine) exacerbée cette mentalité occidentale qui, si elle nous pousse toujours vers l’avant, nous empêche aussi de nous arrêter et de profiter des saveurs du présent, pas si gris qu’on voudrait le croire. L’histoire de Jerk surtout en est emblématique, car confrontée directement à d’autres attitudes : c’est à force de côtoyer divers nouveaux amis qu’il apprend à cesser d’attendre. Luis, quant à lui, recevra cet enseignement au bout de quelques épreuves et de lui-même lorsqu’il sera arrivé sur cette « terre promise ». J’ai trouvé ce parallèle entre les personnages bien introduit (cf. l’extrait ci-dessous) et intéressant, mais pas vraiment nécessaire : peut-être qu’en étoffant le second récit, il m’aurait paru moins artificiel à côté du premier beaucoup plus développé. La relativisation historique que Luis apporte est un plus pour le roman, mais est mal enchâssée d’après moi. 

Au niveau formel, ces deux récits sont racontés dans un style très oralisé (mais pas familier), agrémentés de quelques jeux sur le rythme du texte plutôt réussis. Si ces derniers m’ont plu, j’ai beaucoup moins aimé l’aspect oral, ayant une préférence pour les tournures de phrase plus « écrites ». Néanmoins, cela pourrait séduire d’autres lecteurs qui apprécient cette façon d’écrire. Enfin, une autre originalité de l’auteur a été d’introduire des fragments de chansons diffusées sur l’île. Cela participe parfaitement à l’élaboration de l’ambiance générale et permet d’entrer davantage en empathie avec Jerk : lorsque ces mélodies commencent à agacer par leur fréquence, il en a lui-même marre, puis on finit par s’y habituer, tout comme lui.

En conclusion, un premier roman plutôt prometteur, avec de bonnes idées à affiner, et un auteur dont je suis curieuse de suivre l’évolution par la suite.


L’extrait qui introduit l’histoire de Luis :
[Jerk visite une exposition sur Christophe Colomb] Jerk n’était pas le premier à chercher bonheur et fortune dans cette île des Caraïbes. Il n’était pas non plus le premier à vouloir y laisser sa trace, si petite soit-elle.
Des hommes comme lui, il y a longtemps, cherchèrent la même chose, exactement. Les mêmes espoirs. Non, des espoirs plus grands encore, car alors les hommes ne savaient rien de ces îles. Pas d’Albert pour leur raconter, pas de guides touristiques, pas de pages Internet. Rien. Une place immense pour les rêves.
Plus de cinq cent ans avant Jerk, Luis aussi avait tout quitté, armé seulement de l’espoir fou que tout serait différent.
[ELLKA Léna, Le goût de la crêpe au chocolat, La Croixille, éditions Lunatique, 2011, pp. 23-24.]

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