Fille de pute

D’une manière générale, mes parents n’ont pas beaucoup de patience. Ma mère me punit souvent pour très peu de choses, et mon père râle en attendant que ma mère me punisse pour très peu de choses.
Exaspérés par la résistance dont je fais preuve face à leurs regards que je ne feins même pas d’ignorer, mon père se réfugie dans son bureau d’écrivain et ma mère m’attrape par le bras pour me faire descendre du canapé. Elle ponctue son geste d’un éternel et conventionnel : « Ça suffit maintenant ! », ce à quoi je m’empresse de répondre théâtralement par des sanglots aussi inexistants que sonores.
Seule au milieu du salon déserté, déversant mon flot de larmes et de morve sur la moquette, je finis par céder à l’ignorance de mes parents et m’interroge sur les activités de ma mère en cet instant. Celles de mon père ne me soucient guère, elles sont toujours les mêmes et ne me touchent pas. Mon père écrit. Il écrit sûrement tout ce qu’il ne dit pas, tout ce qu’il fait semblant de ne pas voir. Il pose ses idées molles sur le papier dont l’odeur me fait horreur.
Mais que fait-elle, cette mère barbare et obstinée, capable de laisser sa petite fille se vider de tout ce chagrin sans bouger ?

Mauvais Potage, pp. 17/18

Commentaires