« Tu t’assois au pied d’un arbuste et fermes les yeux pour être encore plus petite et plus seule »

« La mer est très agitée, les vagues et toute l’écume qu’elles crachent fouettent tes joues, ça te réveille un peu et tu décides d’aller marcher sur l’étroite bande de sable, celle qui sépare l’eau de la digue. Tes pieds sont vite pris par le sel, tu grelottes, mais poursuis tout de même ton chemin : tu veux rejoindre ces dunes que tu parcourais enfant, la main bien ancrée dans celle du Père, tu les parcourais comme ça et revenais chez ta grand-mère pour le déjeuner, avec des colliers de roseaux tressés pour Béatrice. Ta mère les portait jusqu’au soir, où ils desséchaient sur la commode en osier du salon. Mais aujourd’hui, ces dunes arrondies, qui achèvent Cabourg avant de plonger dans la Dives, dévoilant au loin la côte splendide de Houlgate, paraissent inaccessibles. Tu as les pieds trempés de sable marron, marron foncé, foncé par la Manche, et les vagues te dépassent de plusieurs mètres. Tu n’y fais pas attention, tu penses à ton école, à tes cours de biologie, si loin de toi, si loin de l’agitation naturelle qui secoue maintenant chaque partie de ton corps. Tu n’es rien du tout. Les éléments se déchaînent, le ciel s’assombrit, les nuages disparaissent pour laisser place à un trou noir, vacant, ténébreux, fait d’éclairs et de rages, qui viennent inonder tes cheveux blonds, et tu n’es rien. Tu t’assois au pied d’un arbuste et fermes les yeux pour être encore plus petite et plus seule, et imagines toutes les possibilités qui s’offrent à toi. »
pp. 60/61

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