« Que voit un aveugle ? Ce que voit un mort. »

« Cette nuit-là, sa tension grimpa à 22, le transformant en une barre de métal chauffée à blanc. Démontée par cette nouvelle attaque, la dragonne appela à la rescousse deux malabars des étages supérieurs. On expédia le malade sur une planète où la lumière ne s’éteignait jamais. C’était là qu’on maintenait en vie les futurs morts, là qu’on les préparait à mourir. La lumière y était aveuglante, trop vive pour des yeux incapables d’abaisser sur eux leurs paupières.
On décida de les protéger en lui collant d’office un bandeau noir. Ambiance assurée, de cave, ou de caveau. Que voit un aveugle ? Ce que voit un mort. »
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« Le désir de devenir poisson l’effleura. Il l’avait déjà expérimenté en nageant, sans en tirer aucun profit. Mais ici le manque d’eau rendait plus tangible la rugosité de ses écailles et la viscosité de son ventre. Ses hanches, ses cuisses, son sexe glissaient sous ses doigts. Il avait perdu la représentation de ce que pouvaient constituer ensemble une tête, un tronc et quatre membres. Il était une mécanique déglinguée, désassemblée. On n’avait pas su l’accorder. On n’avait pas su le langer. On n’avait pas su le choyer, le bercer, le protéger du chaud et du froid, des lumières aveuglantes et des cris, des coups. Il se retrouvait tout gluant de sang, coulant de glaires et de pisse. Il avait encore dû chier sous lui. L’eau ne le lavait plus. Elle se contentait d’huiler les rouages en anesthésiant la douleur. Soudain, elle cessa de se répandre et il sentit le froid. »


Présenté par son auteur comme un récit-témoignage, Bref Séjour chez les morts rapporte avec l’âpreté de la radicalité une expérience des limites : limites du corps, limites de la connaissance, limites de la science. Car, si tout est dit, rien n’est expliqué.
Nul vertige fantastique ne vient cependant saisir le lecteur, confronté à cette « autobiographie impersonnelle » (racontée par le biais d’un « il »). Au contraire, le geste littéraire ici tend à rendre toute chose compréhensible par les autres, au sens le plus fort de la préhension.
Il y a dans l’écriture de Raymond Penblanc la volonté de dire au plus sobre, au plus juste, la réalité, qu’elle soit fictionnelle ou vécue. Cette exigence et cette rigueur ascétique corsètent tout épanchement poétique. L’auteur écrit comme l’on explore une somme d’expériences humaines, décantant, distillant, transmuant dans le creuset des phrases un « moi » d’auteur en émois de lecteur.
Éblouissant de maîtrise, tout en évitant l’écueil d’un élitisme intellectuel, Bref Séjour chez les morts offre une plongée dans le bouillonnement intense de mots, d’images, de sensations, d’informations d’une création littéraire par-delà la simple représentation de la réalité.
Empêché de recourir au subterfuge de l’interprétation par cette écriture « vraie » qui ne réfute ni ne tait les humiliations et la honte, qui désavoue tout polissage, toute fioriture  le lecteur, à l’instar de l’homme pétrifié dans son corps, se constitue prisonnier d’une narration à l’efficacité redoutable. Perturbant. Perturbant et fascinant.

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