L’ADAN et Fred

Douai - 17 octobre 2014
Thierry Moral est venu à la rencontre des prisonniers de Douai pour y lire des extraits de Fred Loram, Phare intérieur et Kijno tout simplement.
Compte rendu de cette journée volée sur la page de lADAN.

Lorsque je gare ma voiture devant la longue et impressionnante bâtisse du centre pénitentiaire de Douai, je lâche malgré moi : « Ah ouais, quand même ! ». Fred Loram*, qui m'accompagne, me tapote sur l'épaule droite et marmonne : « Pas envie d'y aller, ça me rappelle trop St Brieuc ». J'essaie de le convaincre, mais c'est un anarchiste anti-productiviste et jusqu'au-boutiste. Quand il dit non, c'est non.
Lorsque j'arrive à l'accueil du centre pénitentiaire, le gardien me dit que je suis attendu. Je passe le portail très rapidement, puis Céline vient m'accueillir. Souriante, enjouée, motivée et énergique. Comme nous avons le temps, elle me propose un petit café. Très vite, elle m'avoue avoir eu un « coup de cœur littéraire pour Fred Loram ». J'accuse le coup, avec un sourire béat (on se sent souvent un peu con quand on est flatté) tout en me disant : « Heureusement que Fred est resté dans la bagnole... » Elle me parle du livre, son ressenti, faisant bien la part des choses entre ce qui est vrai et inventé. Ça fait vraiment chaud au cœur d'entendre de vive voix un tel éloge.
C'est l'heure. Je passe par les toilettes exigües. Un surveillant me lance en riant « Va falloir prendre un ticket ici ! ». Nous traversons le couloir aux murs vieillots, usés, aux courbes voûtées, franchissons quelques vieilles grilles qui en auraient à raconter si elles pouvaient parler... Certains détenus préfèrent ce genre d'établissement aux plus modernes. Je comprends. Fred ne serait pas de mon avis j'imagine. Il s'oppose à tout ou presque. C'est un principe. Arrivés dans une rotonde qui offre plusieurs accès, des gardes joueurs nous ouvrent la bonne porte. Nous nous installons dans une salle lumineuse qui résonne, installons les chaises, une table et attendons les détenus.
Nous sommes une petite dizaine en tout. J'ai une heure et demie devant moi pour présenter deux ouvrages, plus éventuellement un petit bonus. Les auditeurs sont détendus, souriants, certains sur la réserve, mais c'est normal. Ils tendent l'oreille car l'acoustique est un peu rude, mais après le premier extrait de mon deuxième roman Fred Loram, je vois qu'ils ont voyagé. Les langues se délient.  « Je suis sûr que Fred va aller cogner les skins » lance un détenu après la lecture d'un extrait mouvementé « Mais non, il est pas con » lui répond son voisin. Un débat s'anime sur l'anarchisme, le refus du système, etc... Céline rassure les auditeurs sur le fait qu'aucune personne travaillant au SPIP ne se comporterait comme le fait Ségolène, l'assistante sociale atypique qui apparaît dans le roman. On poursuit avec le sourire. Les questions sont précises. Entre deux lectures, quelques détenus prennent le livre en main, le palpent, le feuillettent, quand ils le déposent sur la table ils me disent : « Celui-là, je vais le lire ».
Présentation et lecture plus courte de Phare Intérieur, nouvelle à dire à voix haute. Les poètes en herbe relèvent le phrasé sonore, oral et imagé. « S'il n'y a pas de poésie, je ne voyage pas. » Peu à peu, la confiance s'installe. « Vous êtes romancier, mais un peu poète quand même aussi. » J'acquiesce et enchaîne sur Kijno tout simplement, ouvrage poétique sur l'œuvre du peintre Ladislas Kijno. Le passé dans le bassin minier pique la curiosité des auditeurs. Je leur fais la lecture d'un texte. Ils en profitent pleinement. Deux auditeurs ont ramené leurs poèmes. Ils me les offrent. Je les lis, puis réagis à chaud. Un vieux monsieur, taiseux depuis le début, prend l'ouvrage poétique et me dit : « Celui-là, je vais le lire ».
Nous nous quittons en poignées de mains sincères et en regards joyeux. Nous avons tous passé un bon moment. Céline a été une guide remarquable. Je sors de l'établissement et rejoins ma voiture, tout content de pouvoir partager cette belle expérience avec Fred. Mon véhicule est vide, évidemment. Il va vraiment falloir que je m'habitue au fait que Fred Loram n'existe pas. Normal, c'est un personnage de fiction, mais il paraît pourtant parfois si réel...

*Fred Loram est le héros de mon roman éponyme

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