« Tu ne te laisseras pas prendre en otage par ton imagination. »


Les Murs suit implacablement une femme dans son quotidien. On la découvre mère, quand l’enfant se réveille le matin, et qu’elle doit l’aider à se préparer pour l’école ; on la découvre épouse, quand elle éprouve le besoin de poser sa tête sur l’épaule de son mari absent ; on la découvre surtout démunie sans bien saisir pourquoi.
L’histoire se déroule, intranquille et inquiétante, au fur et à mesure que surgissent, au détour d’une phrase, d’un paragraphe, les indices d’un malaise aussi oppressant qu’incompréhensible. Se lever, s’habiller, aller faire les courses, chercher l’enfant à la sortie de l’école, affronter le regard embarrassé des autres, empressés et maladroits ; un calvaire empoissé de peur et d’abattement, que cette femme, ce matin-là, est bien décidée à combattre.
Progressivement, au prix d’effroyables efforts pour se maintenir dans un semblant de normalité, elle va reconquérir le terrain vague d’une vie en perdition, d’une vie à reconstruire. Et sa voix, jusqu’alors bâillonnée par les murs invisibles érigés par l’angoisse, la douleur, le désarroi, se fera enfin entendre pour raconter son histoire.
Stéphanie Braquehais s’est inspirée de faits réels pour tisser la trame de ce texte court, ténue jusqu’à la suffocation. Sa minutie à décomposer chaque geste, à restituer la moindre crispation, à décrire toutes les pensées de cette femme au bord du vertige à l’idée de simplement vivre, met immanquablement mal à l’aise. Rien n’est épargné au lecteur qui, pourtant, ne comprend pas. « Tu ne te laisseras pas prendre en otage par ton imagination. », tel est le conseil soufflé par l’auteur à son personnage. Mais c’est le lecteur qui se laisse piéger par les mots qui, posés l’un après l’autre sur la page avec la régularité des minutes qui s’égrènent au cours d’une journée, l’enferment derrière les murs invisibles et pourtant si réels de la folie.
« Depuis le réveil, une idée mûrit en toi. Aujourd’hui, tu iras chercher l’enfant à la sortie des classes. Juste avant, tu te seras rendue au supermarché pour faire les courses. »
Ce matin-là, la femme a décidé d’abattre les murs qui la maintiennent prisonnière d’une vie qu’elle cherche à fuir. Ce matin-là, elle veut (s’en) sortir, seule. Et Les Murs s’attache à suivre son parcours « de la combattante » : de la chambre à la salle de bain, de la voiture au supermarché, de l’école à la maison. Toujours sans rien comprendre, malgré les indices – flashbacks – semés sur son chemin, le lecteur se laisse mener par cette écriture franche, à vif, presque brutale à dire le vrai, sans fioriture, et ce jusqu’au dénouement qui clôt le récit sur un soupir de soulagement.
Maîtrisant la narration et de ses lecteurs les émotions, Stéphanie Braquehais signe avec Les Murs un petit bijou saisissant et bouleversant, dont l’actualité, malheureusement, n’a de cesse de se faire l’écho.
 

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