« Le père a entrevu les premières violettes dans l’herbe du talus, tout en se gardant bien de les cueillir, ça porte malheur. »

Elle n’aura poussé qu’un miaulement contrit. Timide déjà, s’excusant presque. Et cependant bien décidée à vivre. Elle arrive avec quelques jours d’avance. Le printemps aussi. Le père a entrevu les premières violettes dans l’herbe du talus, tout en se gardant bien de les cueillir, ça porte malheur. Ce matin (mais il fait encore nuit à cette heure) il ne pleut pas et il fait doux, tandis que le vent, qui soufflait très fort la veille, vient brusquement de céder. On est le 20 mars 1918, dans une petite ferme de la Bretagne du sud. Pas vraiment le bout du monde, la pointe du Raz se trouve à moins de trois heures de route, et Quimper, la préfecture, à seulement une heure.

À quelque sept cents kilomètres de là, le vent de la guerre n’est pas près de tomber. Il y a quinze jours, la Russie bolchévique a signé avec l’Allemagne le traité de Brest-Litovsk, permettant aux Allemands de transférer d’importants renforts sur le front ouest, en France et en Belgique, de quoi leur faire espérer une victoire rapide. Après la cruelle défaite du Chemin des Dames, suivie des mutineries de 1917, le moral de nos troupes est au plus bas. Raison de plus pour que les Allemands voient le leur à la hausse. Fin mai, à l’issue d’une percée décisive, les voilà rendus à hauteur de Reims et de Soissons. Ils sont nombreux alors à estimer proche la fin d’un conflit qui a franchi, il y a déjà six mois, sa troisième année. C’est sans compter sur le sursaut héroïque des Français (de même que sur l’aide providentielle des premiers contingents américains). En dix jours, tout le terrain perdu est reconquis. La suite ne fera que confirmer cette spectaculaire avancée. Dès lors, les Allemands plient et reculent (sans jamais rompre). Cette fois, c’est sûr, la fin de la guerre est proche.


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