Entretien de Charlotte Monégier accordé à la revue livre/échange n° 69 - mai 2016
La pluie glacée du crépuscule, dehors, cingle de temps en temps les fenêtres, et, parce que le bébé dort, nous parlons doucement. Charlotte Monégier nous reçoit dans son appartement à côté de la gare de Caen et elle a les yeux cernés de ceux qui dorment trop peu. De son pied droit, elle imprime discrètement un mouvement de balancier au berceau de son fils et confie que c’est la première fois qu’elle parle de « tout ça ». Tout ça : l’écriture, le temps, la vie quotidienne, l’argent qu’il faut bien gagner pour vivre et ce désir mystérieux qui fait qu’elle ne cesse jamais de penser à ses personnages, à ses histoires, à ses livres à venir. Charlotte Monégier est née à Paris et, pour échapper à cette vie urbaine qui ne lui plaît pas, elle s’invente un monde imaginaire peuplé d’amis, et « c’est arrivé malgré moi », dit-elle. « À l’adolescence, l’écriture a été le moyen de m’effacer du monde. » Elle écrit de petits textes et, surtout, de la poésie. Elle entame de longues études – droit public, sociologie, journalisme –, elle voyage beaucoup mais en réalité jamais ne se disperse. « L’écriture n’a cessé de me guider. Pendant mes études et également dans le choix de mon métier de journaliste. La plu- part de mes décisions importantes sont prises par rapport à l’écriture. J’ai une envie, une nécessité d’écrire. »
La pluie glacée du crépuscule, dehors, cingle de temps en temps les fenêtres, et, parce que le bébé dort, nous parlons doucement. Charlotte Monégier nous reçoit dans son appartement à côté de la gare de Caen et elle a les yeux cernés de ceux qui dorment trop peu. De son pied droit, elle imprime discrètement un mouvement de balancier au berceau de son fils et confie que c’est la première fois qu’elle parle de « tout ça ». Tout ça : l’écriture, le temps, la vie quotidienne, l’argent qu’il faut bien gagner pour vivre et ce désir mystérieux qui fait qu’elle ne cesse jamais de penser à ses personnages, à ses histoires, à ses livres à venir. Charlotte Monégier est née à Paris et, pour échapper à cette vie urbaine qui ne lui plaît pas, elle s’invente un monde imaginaire peuplé d’amis, et « c’est arrivé malgré moi », dit-elle. « À l’adolescence, l’écriture a été le moyen de m’effacer du monde. » Elle écrit de petits textes et, surtout, de la poésie. Elle entame de longues études – droit public, sociologie, journalisme –, elle voyage beaucoup mais en réalité jamais ne se disperse. « L’écriture n’a cessé de me guider. Pendant mes études et également dans le choix de mon métier de journaliste. La plu- part de mes décisions importantes sont prises par rapport à l’écriture. J’ai une envie, une nécessité d’écrire. »
Longtemps, elle reste seule et
timide avec sa poésie puis, encouragée par un ami, commence à
en envoyer à des concours, à des revues ou, les jours de courage,
à des éditeurs. Quelques revues la publient mais, malgré le
refus des éditeurs de poésie, la jeune femme persévère,
portée par cette « nécessité » dont elle parle sans pouvoir
dire exactement de quoi elle est faite, comme si ce mot-là
suffisait pour tracer les contours d’une vie nomade qu’elle se
choisit. Charlotte devient journaliste et enchaîne les statuts et
les inconforts : free-lance, pigiste, auto-entrepreneur, contrat à
durée déterminée, remplaçante, temps partiel, chômage. «
J’ai eu des journées types de salarié en open space où
j’écrivais des articles à la chaîne, où j’abîmais
l’écriture... Mais le soir et le week-end, je revenais toujours
à ma poésie, à mon roman en cours », raconte Charlotte.
Elle voyage encore et devient, pendant quelques mois, journaliste à
Phnom Penh, au Cambodge. Un premier manuscrit est refusé par des
éditeurs, mais le deuxième est accepté par les éditions
Kirographaires en 2013. La joie de signer un contrat d’éditeur et
de tenir dans ses mains ce premier roman intitulé Elsa a peur de
l’eau est vite ternie par la faillite de la maison d’édition.
« J’ai fait quelques dédicaces mais je regrette que cela se
soit passé comme ça. Aujourd’hui, ce roman n’est disponible
nulle part. » Son désir, profond et inextinguible, est de vivre
de sa plume, malgré ce premier pas bancal, malgré les contrats de
travail précaires. « J’imagine comme ce serait merveilleux de ne
faire qu’écrire », dit-elle en surveillant discrètement le
sommeil de son fils.
VIVRE
D’UNE « PLUME ABÎMÉE »
Charlotte Monégier, qui a des attaches familiales en Normandie et qui
connaît bien la région, s’installe à Dives-sur-Mer, où elle
termine l’écriture de son deuxième roman. Avec toujours, à
côté, piges et contrats à durée déterminée. Mais la jeune
femme apprend à composer avec ces statuts. Elle y trouve même
quelques avantages. « Quand je travaille, je mets de l’argent
de côté, je pense toujours à l’après-contrat, ce moment
plus ou moins long entre deux boulots où je pourrai travailler à
ma poésie, à mon roman. » Le temps de l’écriture est
comme une boussole pour oublier cette « plume abîmée » dont
elle dit vivre. « Je suis toujours dans le calcul du temps de
l’écriture. Je n’ai pas le choix, je suis obligée de gagner
ma vie et, je n’en suis pas fière, mais il m’est arrivé de
saboter des entretiens pour des CDI car je me disais que je n’aurais
plus de temps pour écrire ! » Son deuxième roman, Petite Fille, est publié aux éditions Lunatique en 2014, et on y
retrouve son écriture du gris béton, du gris tempête, du temps
qui passe et également des petites filles qui choisissent de
devenir écrivains. « Quand tu rentres chez toi, sous un ciel
bas et entièrement fait d’humidité maculée, Béatrice est
furieuse. Elle demande ce qui t’a pris de partir si longtemps et de
rentrer sans les courses. Tu réponds : “Je ne sais pas, mais
maintenant je veux devenir romancière” », écrit-elle dans
ce deuxième roman avec lequel elle a l’impression de rentrer, un
peu plus, dans ce monde « fermé » de l’édition. « J’ai
fait quelques salons, quelques cafés littéraires, mon éditrice,
Pascale Goze, me soutient beaucoup. Bien sûr, j’aurais aimé que
le livre se vende plus... »
Se dire ou se penser « écrivain »
? Non, pas encore. Charlotte Monégier, désormais chargée de
communication à la mairie de Verson, est également maman d’un
petit garçon de quelques mois. Si le temps est encore plus morcelé
qu’avant, plus ramassé sur lui-même, car il y a tant de choses
du quotidien à assumer, la romancière trouve toujours le moyen de
voler çà et là quelques minutes d’écriture. « À
l’heure du déjeuner, il m’arrive d’écrire, et si parfois je
suis en avance pour un rendez-vous, je m’enregistre, je dicte un
passage entier à voix haute et, plus tard, quand j’ai le temps,
je retape à l’ordinateur. »
Le bébé se réveille en
souriant, bientôt il sera l’heure du biberon, du bain, des jeux
et des petits contes pour enfants que Charlotte Monégier
souhaiterait écrire, peut-être, bientôt. Elle a déposé une
demande de bourse auprès du CNL et elle attend la fin de son
contrat à Verson pour remettre en forme tous ces petits bouts de
texte, ces person- nages, ces situations qui « bouillonnent » dans
sa tête mais dont elle ne veut pas parler, pas maintenant. Il faut
attendre, comme elle l’écrit dans son roman Petite Fille,
que les histoires « arrivent à percer le papier et l’encre,
ces histoires, qu’elles tournent la couverture jaune et molle de
ton carnet pour prendre forme, respirer à travers leurs personnages
et leurs décors ».
Commentaires
Enregistrer un commentaire