« Et les bornés de la terre ne sont pas prêts à lui pardonner. »

Dans le village de Giacomo, le narrateur et de Maurizio son ami, on est plutôt maçon ou charcutier. On ne lit pas, on ne parle pour certains que le sarde et on a la rancune tenace. Alors quand Maurizio revient, après plusieurs années passées en France aux côtés d’une femme qu’il a suivie, l’accueil n’est pas bien chaleureux : qu’est-ce que c’est que ce projet de librairie ?
A travers quelques lettres échangées entre les deux amis séparés, on voit naître l’amour, puis l’amour des livres puis c’est l’amour qui meurt mais les livres qui restent, survivant à la passion.
S’il est question de livres et de lecture dans cette nouvelle de Michaël Uras, il est aussi question de femmes. De femmes belles et atypiques, ne cadrant pas avec le décor. À cause d’une femme, Maurizio a quitté sa Sardaigne ; grâce à une femme, il a découvert la littérature. Grâce ? À cause ? Giacomo, malgré les conseils renouvelés de son ami et plusieurs tentatives, ne parvient pas à lire L’Homme sans qualités : « ce livre est trop compliqué pour un peintre. C’est qu’il n’est peut-être pas peintre ce Giacomo qui tant écrit et peut-être ne le sait-il pas encore… »
Ce que le lecteur devine à la fin de cette nouvelle, c’est que Giacomo et Musil sont faits l’un pour l’autre et qu’il y a un moment propice pour toute rencontre entre un livre et son lecteur. Le libraire l’a compris, il sait que Musil attend son heure… On aimerait aussi penser que la librairie de Maurizio trouvera ses lecteurs, que les habitants oublieront leur rancœur à l’encontre de celui qui est un jour parti. Il est celui qui a trahi, qui a préféré l’étranger et l’étrangère, qui a abandonné le sol natal pour un rêve plus éthéré d’amour et de connaissance. Et les bornés de la terre ne sont pas prêts à lui pardonner.
L’année passa. Maurizio organisait des rencontres, des lectures, avec des auteurs sardes. Maurizio, un écrivain, deux connaissances de ce dernier (les seules) et moi. Un casting serré pour des soirées ennuyeuses à mourir. […]
La librairie faisait peur aux villageois. Le libraire leur restait en travers de la gorge. Le traître.
Maurizio n’a pas fait de business plan et a oublié l’étude de marché. Il a foncé, au feeling et à l’enthousiasme, pour retrouver sa Sardaigne et lui présenter sa nouvelle passion une fois l’amour consumé. Mais la terre natale ne voit pas fleurir tout à coup les lecteurs sous prétexte de consoler Maurizio. La librairie, un travail de longue haleine… On dirait bien qu’il ne suffit pas d’aimer les livres et d’ouvrir boutique.
Comme beaucoup de métiers du livre, libraire est un métier qu’on fantasme. Quel lecteur passionné n’a pas rêvé d’ouvrir sa-petite-librairie-à-lui-tout-seul ?
Maurizio perdra probablement son combat contre les financiers. Mais grâce à lui, grâce à la relation épistolaire, grâce à ses conseils renouvelés et appropriés, il a amené son ami Giacomo à l’écriture puis à la lecture. On imagine pire destin pour un libraire…

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