L’arrogant coureur de filles les guignait à présent de derrière les volets.


J'ai beaucoup aimé ce roman sur un épisode méconnu de l'histoire alsacienne à la fin du Moyen Âge. J'ai trouvé que le style de Marie Frering était soutenu mais agréable et qu'elle avait un réel talent de narration qui permet au lecteur de s'imprégner des ambiances, des décors, on s'y croirait ! Je recommande !


Ceux que l’on nommait maintenant les souliers-rouges se tenaient volontairement au ban, ils ne voulaient pas être reconnus. La plupart des fols dansants étaient revenus de la transportation à Zawere comme éteints, souffrant de com- plexion mélancolique et demeurant autant que possible à l’écart des autres. Hans, un apprenti du drapier Emmerich, était un soulier-rouge. L’arrogant coureur de filles les guignait à présent de derrière les volets. Prenant un soir à bras-le-corps ce qui lui restait de volition, il grimpa les escaliers jusqu’au pigeonnier de Gerson et frappa à sa porte. Surpris et toujours sur ses gardes lors d’une visite tardive, Gerson reçut le jeune homme et le pria de lui dire pourquoi il était venu à lui. 
« Maître Gerson, nous, les souliers-rouges, vivons à présent comme les juifs obligés de porter le bonnet ou la rouelle jaune. On se méfie de nous, on ne s’approche de nous que par intérêt. Si vous saviez combien de larronneries m’ont été margoulées, brieffées secrètement et sans autre signat qu’un lieu de retrouvaille, sachant que moi pris, derechef les gens d’armes me claustreraient comme fol à la commanderie de Stephansfeld... Nous ne pouvons pas sortir de la ville et la Saint-Étienne est encore loin, et même après nous resterons toujours des souliers-rouges... Maître, vous avez été cordonnier dans votre jeune âge, vous connaissez certainement encore la science de teindre et de déteindre le cuir... Je quitterai la ville, j’irai m’établir à Schlettstad auprès de mon frère et vous n’entendrez plus jamais parler de moi, sinon que je répandrai l’éloge de vos talents de peintre d’enseigne... » 
Le garçon avait ôté ses souliers rouges et les avait posés devant Gerson. Celui-ci les regarda longuement, se remémorant son enfance de bâtard et d’orphelin et ses années d’apprentissage chez Helmbrecht. Quand il releva les yeux, Hans, déconfit, baissa les siens. 

pp. 108/109 

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