« Sorte d’encéphalogrammaire en mouvement perpétuel qui enregistre et retranscrit les oscillations des pensées compulsionnelles. »


Avec La Ritournelle son dernier roman, Perrine Le Querrec effectue une descente en apnée dans les sous-bois nauséeux d’une famille-tombeau. à la faveur d’une langue dédiée à la musicologie des mots, l’autrice explose les digues de la syntaxe et du récit traditionnels. Surgit une brillante petite cantate littéraire libre et personnelle.
RéDACTion : kARinE BAuDoT PhoTo : iSABELLE vAiLLAnT

L’enfance, terrain miné, ruines de guerre, bombe à retardement et sépulture ad vitam. Dans La Ritournelle, Perrine Le Querrec convoque un huit-clos familial chaos-cloaque-claque dans une ville imaginaire nommée Certitude « tristement plate où tant de Certains s’aplatissent. » A la mémoire-morte de Suzanne mère-détresse qui rêvait d’enfants éviscérés ou perdus dans la forêt et qui faute de passage à l’acte a sali, abandonné, détruit. Dans le giron d’un père sans nom qui n'a rien vu ou n'a pas voulu voir et commerce ses confidences dans l’intimité de la vénus d’une prostituée nommée Roma la naine. Sur les pas de Georgia fille-sœur protectrice vêtue de rose au cœur-guimauve qui monnaie également son corps et remonte les rues vers le néant. Dans les méandres d’Eugen garçon-frère à la langue mamelle à force d’être pendue à la potence familiale qui « ressasse son ressassement » dans le ressac des objets originels par lesquels il modèle son présent, à une cane e près. L’histoire « d’une chambre éventrée. D’une mère éventrée. D’une mort éventrée. D’une famille éventrée ».
La Ritournelle. Au son du chant des souvenirs funestes, sur le champ lexical des mots-éruction, pousse une autre langue, unique et forcément précieuse, une langue-fange au plus près des relents d’enfance mal dirigés pour le pire et sans meilleur. Au motif usuel de la syntaxe et du récit linéaires, Perrine le Querrec oppose une structure déconstruite qui surprend et déstabilise puis coupe le souffle au sens propre comme au figuré, un lacis de phrases qui s’accolent pour étourdir, transpercer, encercler, perdre, attendrir, emporter, éblouir, une matière brute qu’elle malaxe, étire, modèle, forme et déforme pour mieux ausculter les traumas de ses personnages et pénétrer leur esprit. Sorte d’encéphalogrammaire en mouvement perpétuel qui enregistre et retranscrit les oscillations des pensées compulsionnelles. Le ton n’est pas à la narration mais à l’écoute introspective des perdus et au chaos des flash-backs déliquescents. Les divagations de l’esprit deviennent électro-choc littéraire autant qu’elles racontent une histoire déchirée à la manière d’un puzzle aux pièces manquantes. unique planche de salut pour les enfants terribles de Perrine Le Querrec l’enfermement entre les pages d’un livre ou règne encore un peu de beauté et de légèreté. Ainsi disparaitront Georgia et Eugen, incapable de vivre avec Certitude. Restera La Ritournelle, une chanson pas douce qui chavire et étripe sur les sentiers enfouis des dérélictions absolues.


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