« Ce qui l’empoignait n’était pas une émotion esthétique, mais le sentiment diffus et énigmatique d’appartenir à cette ville. »





Hexenkreis von Prag
(Le cercle ensorcelé de Prague)

Clément, étudiant à l’école des Beaux-Arts de Paris, était à l’âge des vénérations et des enthousiasmes inconditionnels. Kafka, Rilke, Hölderlin, Tarkovski, Paradjanov, Mizoguchi, Kudelka… La découverte des photographies de F.Z. l’avait bouleversé, et il voulait absolument le rencontrer, avec le fervent désir de devenir son élève et l’espoir que le grand homme l’accepterait.
Son intranquillité l’empêchait de visiter les musées, les églises, le château, il traversait et retraversait les ponts sur la Vltava, s’éloignait du centre en tramway, le nez collé à la vitre, jusqu’au butoir des terminus d’où il repartait dans l’autre sens… et petit à petit, sans s’en rendre compte, Clément avait été ensorcelé par Prague. Il se délectait de l’odeur âcre de charbon qui l’avait agressé à son arrivée, écoutait avec plaisir les sons de cette langue impénétrable pour lui, il sentait la vibration de cette ville comme nulle autre avant elle. Le crépi se détachait des murs des immeubles, de nombreux échafaudages en bois masquaient les façades et, en ce mois de novembre, le brouillard formait un dais gris, dense et gorgé de pluie. Même les statues or et noires du pont Charles semblaient frissonner de froid. Ce qui l’empoignait n’était pas une émotion esthétique, mais le sentiment diffus et énigmatique d’appartenir à cette ville.
pp. 68/69


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