« C’était comme un long cri de fouine, ou bien d’un animal volant – peut-être un hibou –, de ceux qui se balancent au bout d’une branche de saule en plein midi. »






Une Vieille Mémoire

C’était comme un long cri de fouine, ou bien d’un animal volant – peut-être un hibou –, de ceux qui se balancent au bout d’une branche de saule en plein midi. Étienne n’était sûr de rien, sauf que la terre mourrait de chaud, comme lui malgré les larges bords de son chapeau pâle. On était en août, la nouvelle était tombée, grignotée par les rat, les souris, les mulots, répétée et altérée à l’envi par les sombres recoins de la bâtisse et les vieilles pierres moussues exsudant enfin leur dernière goutte d’eau : on vendait tout, c’était fini. C’était la fin du grand Château de Luzès. La fin des poutrelles également gonflées d’histoires désapprises et d’humidité, la fin des odeurs et des craquements de meubles, rauques comme des toux de vieux qui oublient leur sirop. Étienne, le dernier gardien, en partira bientôt pour aller Dieu sait où et, avec lui, l’âme du château et ses secrets ne trouveront plus d’oreille où basculer leurs chuchotements, qui erreront peut-être encore un temps dans les couloirs et raseront les murs poussiéreux fatigués de supporter leurs tapisseries. Puis, sans mise en bière aucune, ils s’évanouiront dans le silence. Pauvres malheureux : ils n’auraient jamais cru qu’on les abandonnerait là, crevés comme de vieux pneus, entre vie et trépas, au bord des douves sèches.
pp. 40/41

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