« C’est une autre version de la guerre ; l’attente, le vide »

 

Philippe Annocque a découvert un paquet de cartes postales écrites par son grand-père pendant la Première Guerre mondiale. Il s’en est emparé. Il donne une lecture scrupuleuse de ces cartes, comme s’il en était le destinataire. Il en scrute tous les aspects ; matériel, scripturaire, historique, existentiel. Ce sont pourtant des nouvelles monotones envoyées par un jeune homme à ses parents. Ceux-ci devaient les attendre et lire ces cartes avec précaution, cherchant sans doute à lire entre les lignes ce que le captif, tombé aux mains de l’ennemi, ne pouvait pas dire. Les cartes étaient, en effet, soumises à la censure allemande. Ce ne sont pas les tourments, les atrocités de la guerre qui sont ici relatées. Pas de tranchées, pas de combats, pas de tirs, pas de morts. Il n’est pas au front, mais prisonnier. C’est une autre version de la guerre ; l’attente, le vide. La particularité du livre de Philippe Annocque tient à ce qu’il s’immisce littéralement dans le courrier d’Edmond, commentant de diverses manières la prose resserrée du sous-lieutenant détenu dans un camp de prisonniers pour officiers à Posen (ou Poznan). Il reconduit ainsi le vif intérêt que ces cartes ont dû susciter, ainsi que leur partage avec la famille, chez les « chers parents » auxquels elles sont adressées par Edmond. Leur auteur et celui du livre portent le même nom. Ils ne se sont jamais connus réellement. Mais c’est aussi à un petit-fils qu’il ne connaîtra pas qu’Edmond Annocque, à son insu, donne des nouvelles. Philippe Annocque a accès à ce jeune grand-père, mort bien longtemps avant sa naissance, par les quelques traces laissées. Ces cartes postales, donc, mais aussi des objets fabriqués par Edmond lors de sa captivité. Ces objets mentionnés dans les cartes, vus, touchés par l’auteur du livre, durant son enfance, révèlent ici leur origine. Les cartes sont écrites au crayon à papier, sont par endroits illisibles. Les ratures, les fautes d’orthographe et les surcharges en violet, laissant supposer l’intervention de la censure qui fait disparaître certains mots, mais aussi les noms propres sont interrogés par Philippe Annocque. Son imagination tout autant que son insuffisance participent à la vivacité de cette lecture d’archives. Il ne fait jamais l’impasse sur ce qu’il ne comprend pas, sur ce qu’il ne peut pas savoir, sur ce qui lui échappe. Et c’est précisément ce qui fait la richesse de son livre. 
Mon jeune grand-père, Éd. Lunatique, 196 p., 20 €. 
Gaëlle Obiégly
FloriLettres 199 (décembre 2018)

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