« Je suis leur mauvaise conscience, le non-dit, la tache sombre et indélébile sur leur parcours dont l’écriture est la trace. »



Le harcèlement scolaire à nu, ses conséquences, son émulation perverse mais aussi, très joliment, les mots académiques pour le mettre à distance. Dans un récit court et tendu, Benjamin Taïeb revient sur cette sortie scolaire où il subit la violence de quatre de ces camarades. Classe de mer se révèle un texte dont la force tient à la concertation du jaillissement de cette colère irrépressible.
Au fond, ce bref récit se suffit à lui-même : il faut s’en prendre la violence en pleine gueule, se souvenir de nos silences, des acceptations tacites de cette enfance si malhabile à réagir face à la loi du plus fort, s’inquiéter sans doute aussi de notre passivité d’adulte qui laisse perdurer cette violence et ne sait, ou ne veut, en déchiffrer indices et signaux. Les paragraphes sans doute le plus touchant de ce livre émouvant, précisément d’éviter de sombrer dans un pathétique tire-larmes, sont ceux qui mettent le doigt sur les ratés de la réaction des adultes. Deux semaines de classe de mer, deux longues semaines de tortures nocturnes à apprendre que les persécuteurs, de jours, savent déjà témoigner de leur innocence. Pendant ce temps-là l’institutrice, tout à ses conflits conjugaux, ne voit rien. On sait, hélas, qu’un enfant persécuté prendra sur lui, se sentira coupable, cherchera en lui les raisons de cette torture (pas assez bien, le dernier à être choisi en sport…) et pour cela n’en parlera pas. Il se tait face à ses parents, ne pas faire de la peine. « Les bleues finiraient bien par disparaître », on finira bien par pardonner. Il faudra bien s’intégrer, se fondre dans la normalité, le groupe.
Ensemble, ce ne sont plus des enfants.
Benjamin Taïeb touche, je crois, son lecteur surtout dans son désir de comprendre le groupe. L’enfant veut se sentir partie d’un tout, il tente de parler un à un à ses agresseurs, l’émulation du groupe ne se fendille pas. Avec ce climat de revanche, son livre tente précisément de singulariser des comportements. Plus tard, il cherche ce que son devenu chacun de ses agresseurs. Notons d’ailleurs que, à l’instar de Mikado d’enfance de Gilles Rozier, internet et ses réseaux sociaux deviennent le terrain de jeu de ses remontées de mémoire. Plus intéressant à mon sens (mais qui suis-je pour en parler moi qui n’ai pas connu ce genre de situations ?), Benjamin Taïeb se demande la trace laissée par leur comportement chez ses camarades.
Je suis leur mauvaise conscience, le non-dit, la tache  sombre et indélébile sur leur parcours dont l’écriture est la trace.
Comment parviennent-ils à vivre avec, quels images fera ressurgir la publication de ce dense récit. Pour approcher au plus près la violence de ce groupe, l’auteur, avocat de profession donc plus apte que n’importe qui à montrer les failles entre le discours et les actes, insère de courts passages des textes officiels par lesquels l’institution prétend prendre en charge ce problème. Une tension très bien venue vers le collectif, de celles qui nous permettent d’interroger notre aveuglement. Un enfant sur dix serait victime de violences verbales ou physiques, le plus souvent par des enfants de mêmes sexe, sans surprise surtout des garçons. Classe de mer nous rappelle avec force l’inacceptable de cette situation.
Merci aux éditions Lunatique pour l’envoi de ce livre dont la couverture est d’Antonin Crenn.

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