« Existe-t-il une sortie quand tout vous oppresse ? Réponse au bord du vide, en équilibre précaire sur la crête du sens... »


Puissance de la grotte, force de la caverne, jaillissement de la prose quelque part en dehors du monde, sur une île piégée, dans un bagne aux allures d'Eden en enfer ou d'enfer au Paradis. Lestor, Ousmane, Malek et le narrateur n'ont pas encore dix-sept ans, livrés aux travaux forcés et brimades du gardien du phare, Somer. Entrons alors dans le Grand Sommeil, en plein été, pour observer des échappées bien réelles en écho aux fantasmes d'une tribu enfermée. Car tout ça n'est peut-être qu'un rêve, un cauchemar ou bien la stricte réalité. Allez savoir...
Avec Somerland, je découvre l'écriture de Raymond Penblanc : vive et énergique, fulgurante et prolixe, jamais dupe de ses enfermements. D'une musicalité fluide, aux sonorités crues et heurtées parfois, pleine de saccades. Elle louvoie, cherche, en quête d'elle-même pour mieux fouiller la possibilité du drame et de l'amour, l'idée d'une violence animale ancrée en chacun de nous, la force de natures indomptables. On pense à la série Lost aussi, avec cette réflexion sur la possibilité de faire société. Ou la guerre. Un goût pour l'étrangeté. La prose impressionne souvent et on sent derrière la tenue du texte les années d'écriture dans une pièce obscure, comme la caverne... Mais on l'imagine ainsi, les idées viennent d'en haut. Pas de Dieu mais de la montagne...
 "Qui connaît  Sisyphe ? Qui a entendu causer de cette vieille fripouille condamné à perpète pour avoir niqué les dieux ?" C'est sur ces mots que Somer nous avait présenté la chose le lendemain de notre arrivée.
Catabase et anabase. Du haut de la falaise, on chute alors dans la caverne et le grand bain des refoulements de l'inconscient où se mêlent obsessions, pulsions de vie et de mort. On monte on descend, le texte décrivant les mouvements de nos peurs. Un livre qui interdit toute posture définitive sur son objet. On peut le lire comme un conte macabre, une comédie noire (certains passages, très crus, sont hilarants), une chronique sociale de l'enfermement, une aventure de la psyché, une romance sépulcrale, une quête initiatique, un récit d'adolescence et ce que vous voulez en réalité. Vous aurez toujours raison et toujours tort... Les souterrains, la caverne comme procédés d'initiation donc, archétypes de la matrice maternelle, lieu de souffrance et de punition où l'âme humaine est enfermée, symbole de l'inconscient et de ses dangers. Par l'écriture et les épreuves, l'auteur tente de libérer les forces à l'oeuvre, de faire sortir l'âme de ce spectacle d'ombres agitées pour contempler le vrai monde des réalités. Mais attention, un monde cru, violent, fait de beautés cachées chez l'auteur. Une idée platonicienne du monde, à aller chercher dans les viscères des cavités... Existe-t-il une sortie quand tout vous oppresse ? Réponse au bord du vide, en équilibre précaire sur la crête du sens...
Un récit torturé qui charme autant qu'il perd. Et c'est tant mieux.

Une (excellente) recension signée L’espadon


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