« Au reste, m’installant au Blue Riviera, j’échouai dans un repère de poètes. »

 La Vie brûle, de Jean-Claude Leroy

Extrait :

Au reste, m’installant au Blue Riviera, j’échouai dans un repère de poètes. Je l’appris lorsque, rentrant du petit café où mon habitude était déjà prise de passer boire un verre le soir, verre de thé ou de sahleb1, et d’observer les joueurs de dominos ou de trictrac, je traversai le salon rectangulaire qui sépare le hall d’accueil de ma chambre non sans y apercevoir, s’étant mis à l’aise, quelques individus bien campés, le cul dans les fauteuils et le torse redressé, s’appliquant à soumettre leur impérieuse posture à d’éventuels subalternes. Cherchant à ne pas déranger, je passe près d’eux discrètement, quand l’un des hommes me glisse un « welcome » qui me surprend, et auquel, mécaniquement, je réponds d’un « chokran »qui me paraît tout indiqué. Le même homme n’en reste pas là, il me demande comment je m’appelle, puis me prie de lui montrer mon passeport. C’est alors que je remarque Youssef, le veilleur de nuit ; je vois qu’il est très nerveux. Le type me fait signe de m’asseoir. Notre petite assemblée regroupe maintenant sept personnes. Le type regarde le passeport. Il a près de lui le registre de l’hôtel avec lequel il compare les données. Il me demande depuis combien de temps je suis en Égypte, si c’est la première fois, et qu’est-ce que je fais donc là. Ce que j’écris, si j’écris sur l’Égypte. Youssef se lève timidement, propose d’aller chercher « Madame ».

J’ai dit que j’écrivais principalement des short stories, c’est ma réponse habituelle. Madame arrive, me glisse quelques mots de bienveillance, on la prie de s’asseoir. C’est elle qu’on interroge : Comment se fait-il qu’elle parle français ? Alors, dans sa langue à lui, l’arabe égyptien, elle s’adresse à l’inquisiteur avec une expression idéalement dédaigneuse : « Parce que je l’ai étudié, bien sûr ! »

Posé sur la table basse, provisoirement refermé, mon passeport en côtoie deux autres. Il est clair que nous sommes trois sur la sellette. Tous les clients ont été passés en revue, ont traversé les mailles du filet, c’est nous trois qui sommes les gagnants du concours. Un homme jeune qui porte des lunettes, l’air énergique et engageant. Un autre, la cinquantaine, barbe naissante, cheveux lissés vers l’arrière, bouclés dans le cou, air très doux, peut-être bilieux ou au contraire très calme, je ne sais me décider. Il s’adresse à moi quand l’officier oublie l’anglais et me parle en arabe. C’est que l’un de ses seconds est persuadé que j’ai menti, qu’en fait je comprends sa langue, parce qu’à plusieurs reprises j’ai semblé saisir leurs propos. Alors l’homme qui a l’air doux me traduit ce qu’ils disent. « Il te demande si tu prends quelquefois le tramway.

– Non, je marche. »

pp. 12-13

Notes :

Sahleb : boisson chaude à base de lait, noix de coco, sésame, cannelle…

« Merci. »


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