« De quelle hauteur faut-il tomber pour espérer parvenir à s’envoler ? »


Au registre des originalités et autres curiosités, attardons-nous un instant sur ce petit livre de 120 pages décrivant 50 scénettes du quotidien, une moyenne de deux pages par instantané. Pour chacune d’elle, un titre. Mais jamais pris au hasard. En effet ils sortent tous de la discographie des Beatles, le groupe britannique peut-être le plus célèbre de la planète (derrière les Stones diront les détracteurs).

L’inventivité de ce recueil est de ne dire aucun mot sur les Scarabées de Liverpool tout en les citant indirectement 50 fois. Leur chiper leurs titres. Et à partir du titre choisi, inventer (ou retranscrire ?) une brève tranche de vie dans une ambiance en adéquation avec le titre sélectionné. Et l’on obtient un résultat surprenant car varié autant dans les thèmes que dans l’écriture.

Marlène Tissot jongle avec les situations. Souvent des couples, pas toujours assortis d’ailleurs. Et d’un mot du titre de la chanson des Beatles naît une scène. Mais attention, non dénuée d’humour, l’autrice prévient en préambule : « Aucune chanson n’a été blessée durant la rédaction de ce recueil. Seuls les titres ont été sollicités. Les paroles n’ont pas été disséquées et aucune prélèvement verbal n’a été pratiqué ». Donc nul besoin de connaître la carrière du groupe pour entrer dans la danse.

Les thèmes sont resserrés en majorité autour de la notion de couple, dans son incommunicabilité malgré la complicité, dans sa définition du terme « aimer ». L’atmosphère se fait tour à tour drôle, absurde ou mélancolique, désenchantée, l’écriture parfois poétique, parfois orale, toujours dans une veine littéraire très ancrée. L’arme féministe entre en piste : « Ces hommes-là sont tellement prévisibles. Tout ce qu’ils veulent c’est une petite fille avec laquelle jouer, un morceau de pâte à modeler, de grands yeux dociles, des joues timides, un ventre à percer. Ils veulent une petite fille, et j’en suis une pour l’éternité. Une petite fille trouée et mal recousue, des manières de poupées, mais un monstre sous la peau ».

L’autrice entre par moments dans une certaine introspection, pas sûre d’apprécier le monde qui lui est imposée, pas sûre de bien vouloir y vivre dans ses règles et ses obligations, ses craintes. Alors un pas de côté, immersion dans une bulle protectrice, masque d’enfant, cocon garanti.

Certains de ses textes flirtent avec le fantastique, d’autres sont empreints d’un profond onirisme, nous laissant entrevoir des mondes parallèles, créés, merveilleux, utopiques. Fuite de la réalité, besoin de rêves, remarques pertinentes, même devant la violence du quotidien, le moment où tout semble nous échapper. « Non, vraiment, ça ne tourne pas rond. La vie, partout, ressemble à une publicité savamment calibrée ou à une maison témoin, joliment aménagée, mais sans âme. J’en viens à me demander si on ne m’aurait pas enfermée dans le tiroir d’un paradis artificiel ». Tant qu’à faire, autant choisir son paradis, se le créer à sa dimension.

Ces 50 courtes séquences passent à la vitesse de l’éclair, l’autrice sachant jongler avec les changements de décors, ce qui se révèle ici une force d’écriture. Non seulement nous prenons plaisir à découvrir ces petites scènes, mais nous nous précipitons sur la prochaine dès la présente achevée, la recette fonctionne parfaitement. Paru en 2020 aux éditions Lunatique avec un « yellow submarine » en couverture, ce petit bouquin est à découvrir pour son originalité, sa fougue, sa variété et sa fausse naïveté.

« De quelle hauteur faut-il tomber pour espérer parvenir à s’envoler ? »

Le toujours excellent et inspiré (Warren Bismuth)


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