« Mes chers parents »

Ma lecture de Mon jeune grand-père, de Philippe Annocque, paru aux Éditions Lunatique.


"Mes chers parents"

C'est ainsi que commencent, et durant toute la captivité, les lettres d'Edmond, le "Cher jeune grand-père" de Philippe Annocque. Je ne reviendrai pas sur les motivations de l'auteur très bien relatées par Nathafi. Mais, dans ce livre, sorte d'autobiographie par personne interposée, l'effet de surprise est réel après l'univers angoissant, où la tête tourne, du "Pas Liev"... Par ce flot de lettres de son jeune grand-père que Philippe Annocque a recopiées une par une au fur et à mesure de la lecture, l'auteur nous embarque dans une sorte de nid douillet où la douceur et l'émotion s'installent peu à peu. Douillet par le fait qu'il est question de retrouver un aïeul qu'il n'aura pas connu et qu'il va lui aussi, comme nous , découvrir... Mais, pas douillet du tout quand on sait d'où viennent ces lettres et dans quelles circonstances ! Je pense que nous sommes nombreux a avoir découvert des lettres et photos de nos ancêtres, mais dans ce livre l'auteur prend un chemin particulier car il va les commenter au fur et à mesure de ce qu'il pense, de ses recherches de souvenirs sur la famille, avec familiarité où l'on sent la tendresse s'installer. Car, oui, dans ses lettres, Edmond va faire régulièrement toujours les mêmes remarques sur les colis et lettres reçus ou non, il ne s'épanche pas trop sur ce qu'il ressent car, bien sûr la censure est là, les lettres sont vérifiées à chaque fois. Pourtant, si Edmond ne semble pas trop souffrir de cet emprisonnement, il y est parvenu après "cette terrible bataille" à Verdun dans les tranchées dont ils sont sortis seuls rescapés, lui et un soldat (dont on ne pourra vraiment savoir si ce dernier est celui qui l'accompagne dans le camp) ; puisque l'auteur lit les lettres au fur et à mesure, on découvre qu'il y a eu un désordre dans le classement et la lettre où il relate son arrivée dans le camp est comme un coup de poing au cœur ! Le petit traintrain des lettres, où la monotonie s'est installée, prend d'un seul coup un autre relief. On sait ce qu'il a vécu dans les terribles affrontements, mais il ne pourra rien en dire ni surtout écrire...

Heureusement les commentaires du petit-fils apportent quelquefois de l'humour, on se prend à chercher avec lui le sens d'un mot comme le point d'interrogation sur le mot "main" ; et bien "la main" que réclame Edmond est un gant de toilette ! Que j'ai utilisée toute mon enfance devant un évier pour me laver comme doivent le faire les prisonniers... Le petit-fils découvre des parents, des amis qui le conduisent à chercher dans sa nébuleuse des souvenirs.
Chaque soir avant de dormir Edmond m'a rejoint, ou le contraire, il est entré dans ma vie au même titre que mon grand-père qui lui n'a pas été prisonnier mais a été pris dans la même terrible guerre.

Philippe Annocque lui rend un bel hommage, il le fait avec délicatesse, persévérance, et tendresse, avec cet impératif de devoir de mémoire ! Un bel ouvrage.

Une critique déposée sur le site Critiqueslibres

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