Quatre-vingts ans après Charles Trenet, Benjamin Taïeb s’interroge : que reste-t-il de nos amours ? Nostalgique d’un âge où le futur se conjugue au présent composé des instants partagés avec l’aimé·e, où le monde s’offre à vous dans l’amour qu’on lui voue, où l’on n’a d’existence et la vie de sens qu’à deux, Benjamin Taïeb dissèque, avec beaucoup de minutie et tout autant de facétie, les palpitations d’un cœur, celui de Paul, amoureux de Valérie. Paul et Valérie, qui se voient (seuls au monde et) uniques, alors qu’ils s’illusionnent de la même façon que tout un chacun·e, amoureux•reuse pour la première fois. Leur histoire, tout compte fait, n’a rien d’exemplaire, elle suit à la lettre, ou presque, les exemples abondamment donnés par la littérature, classique ou moderne. C’est l’éternelle histoire des histoires qui ne le sont pas, quand bien même on y croit.
Leurs balades à la Coulée Verte, chemin lumineux du 12e arrondissement qu’ils sillonnent sur plusieurs kilomètres. Il est impossible de ne pas les croiser là-bas, au milieu des années 1990. Cette promenade sans cesse répétée, cette marche lente d’ouest en est, a pour nos amoureux, appartenant l’un à l’autre, le charme infini de cette idylle naissante. Ils aiment emprunter la voie piétonne surélevée, qui débouche sur le jardin de Reuilly ; ils somnolent sur l’herbe de la pelouse centrale, avant de flâner dans les jardins thématiques : jardin d’euphorbes et de sedums, jardin aquatique, jardin de fougères et de bambous. Sur les belvédères, ils restent à l’ombre des aulnes ou des pommiers à fleurs. Ils pérorent entre les tilleuls, les cerisiers et les pergolas fleuries ; parcourent les terrains vagues où prospère une végétation touffue, d’une fraîcheur de bouquet. Ils s’assoient sous les treilles en fer plein, à l’abri de l’agitation urbaine. Tout cela sans avoir la moindre idée de la flore qui les entoure.
Valérie et Paul sont de grands romantiques. Il leur arrive de rompre pour la seule joie de se retrouver dans une compréhension mutuelle immédiate (ils ont l’impression de ne s’être jamais quittés), doublée de ce plaisir si particulier d’exister dans l’esprit de l’être aimé. Alors ils vont à la Coulée Verte, en pèlerinage sentimental.
pp. 62-63
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