Cela faisait longtemps que je n’avais pas mis la main sur un recueil de poésie. Et que ça fait du bien !! C’est un genre qui a tellement peu d’attraction aujourd’hui, alors que c’est clairement une manière d’expression singulière qui a marqué toute l’histoire de la création humaine, avant même l’histoire de la littérature en tant que telle. Et la poésie contemporaine a une liberté de ton, de forme et d’abstraction qui marque souvent son temps, autant que son auteur.
Mais là en plus, c’est un petit pédé qui écrit, alors ça a tout pour me plaire. Et je suis assez fan, car il aime éhontément les mots, leurs sens, leurs sons, il jette tout ça avec talent et créativité, mais aussi une grande sensibilité, ou parfois une crudité très sexuelle. J’ai beaucoup aimé le rythme de ses stances très libres, mais souvent avec des vers courts et percutants, et une forme qui peut rappeler le haïku (que j’aime tant).
Je vous ai fait une petite sélection qui représente je pense assez bien le recueil, et le style de son auteur. Il y a celui-ci qui m’a plongé dans mes années de vingtaine parisiennes, je ne sais pas pourquoi. Enfin si, il suffit de lire.
CONSOLATIONSdes oranges des lumièresdu ciel le dimanche soirau crépuscule surgissentles consolations éphémèrescomme les averses subrepticessous les nuages grisde faux-semblantsce sont les gorgées sirupeuseset tanniques de vin rougeles embrassades muscléestrempées de réconfortet les regards discretsdes garçons pétris de noiresintentionselles appellentau coin des jougsréveillentdans leur soupirs soulagésles illusions de sexesturgescentspansent les désirsconvalescentson baisera un autre jour
Il y a de belles évocations de cul, mais surtout de chouettes métaphores et des allitérations, des combinaisons de mots très euphoniques qui font vraiment mouche pour moi. J’aime aussi beaucoup la construction du poème ci-dessous avec les quatre verbes : palpiter, crépiter, surgir, vibrer. Mais aussi la progression dans cette narration brève et intense, et ses images très lyriques et “brillantes”.
VIBRATIONSlaissons palpitersur nos bas-ventres dilatésaux terminaisons cruciformesle cœur d’une comète etles nids de mille libelluleslaissons crépiterdans nos têtes échaudéesdes ballons de baudruchele charbon noir des cheminées etdes caresses étincelanteslaissons surgirde nos sexes rougessous les pantalonsdes poèmes d’un jet etdes cris de joies impurslaissons vibrer sur le champdes poils pubiens en feunos amours incandescentes
Là, c’est plus simple et mécanique, mais j’adore cette concision, et ce glissement sémantique juste en changeant une lettre ou un phonème. Encore des allitérations, et des variations subtiles sur un même thème qui viennent raconter une histoire avec une scansion et un rythme particulier. Et cette fin précipitée vers l’abîme des verbes et du stupre combinés…
DES MOTS D’AMOURdes mots dursdes mots douxdes mots crusdes mots courtsdes mots sûrsdes mots sourdsdes mots fousdes mots flousdes mots mûrsdes mots mousdes mots lusdes mots lourdsdes mots pursdes mots pourte déshabillert’admirerte lécherte sucert’avalerte baiserte recrachert’enculerte faire jouirt’aimerde tous les mots
J’ai adoré celui-ci car les poèmes me faisaient déjà pas mal penser à la littérature de Dustan de mes jeunes et vertes années. Et ci-dessous, c’est je mange un œuf de Nicolas Pages. Ce roman de 1999 m’a bouleversé à ce moment-là, et le roman Nicolas Pages de Guillaume Dustan de la même année, sera encore une occasion de marquer pour moi toute une époque, MON époque. Les poèmes de Bardou évoquent très directement des plans culs comme des amourettes ou des choses plus sérieuses, mais aussi des prises de drogue, sans doute du chemsex et des teufs à n’en plus finir. Le texte suivant est de tout cela, avec un brin d’écriture automatique et intuitive que me plait, car j’ai l’impression de la comprendre au-delà de la surface des choses. En tout cas, elle me parle au-delà de la simple littérature.
LA MACHINE À FÊTERun verre sortir clubber une bière deux verres taper danser des basses une clé de ké un soft danser trois verres de l’eau draguer cachets darkroom danger mâcher choper deux bières une trace de trois danser sniffer parler du gé vomir pochons mourir mater des lèvres manger défonce lécher de l’eau taper réponses pisser chanter patrick cowley baiser des mains des flashs oublier quatre heures cinq bières poppers du èl triper danser fumer ployer six mecs s’aimer s’en foutre pleurer pisser de l’eau sucer se dessécher philosopher rire déblatérer taper beyoncé danser chier rentrer gober xanax lexo sexter jouir dormir crever sept heures câlins rêver ne plus penser recommencer un verre sortir une bière un gin taper cachets danser choper baiser aimer vomir pleurer mourir de rire rentrer dormirla machine à fêter ne s’arrête jamais
On peut aussi y découvrir ce poème troublant sur le consentement, et c’est là où la poésie a cette force singulière qui fait que quelques mots suffisent pour exprimer tout un univers de sentiments, de traumatismes et de subtiles émotions.
ZONE GRISEton sexe est làlà où il ne faut paspas de faux paspourtant ton sexeest làmalgré les noncriés trois foiscriés trop froidsne faute pascontre moine frotte pasquand je disnon ton nomtrois foiscrié effroita bite est chaudemon sang est froidne me réchauffe pasquand je disnon trois foisdans la zone grisetu te déploiesje me débatsdégrisé émoisdéguisé et moiplié je ploiej’avais dit nontrois foissans protectionsans moisi je t’en veuxparfois
Il se trouve que Florian Bardou vient juste de sortir un second troisième ouvrage, donc il faut que je regarde ça.
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