La frustre sauvagerie de l’adolescence, la collective responsabilité que nous portons de ses errances. Dans l’opposition fatale et meurtrière qui emporte ce roman choral, poétique et surtout au plus près des silences butés, des tues douleurs d’un gamin malmené, trouvant en Rimbaud un modèle pour sa fuite éperdue, Raymond Penblanc fait à nouveau entendre la musicalité de son style, sa précision pour cerner la distante et maladroite tendresse que tous portent à ce gosse malmené. Au-delà du fait divers, par son refus d’en rendre compte complaisamment, dans une langue par trop quotidienne, au-delà d’une évocation de Rimbaud, Comme un mendiant sur les quais de marbre se révèle un assez fin démontage des mécanismes de la violence.
Depuis un moment, on suit les romans de Raymond Penblanc. Pour celui-ci on a été attentif, à l’évidence, à son travail sur la langue, au décentrement qu’elle apporte, à la cohérence qu’elle permet. Chaque personnage, témoin distancié, aura non pas son propre rapport à son langage, mais plutôt le même traitement d’écart, d’énumération, d’épuisement, d’un vocabulaire choisi, courant et pourtant semblant toujours conscient de sa sonorité, des associations d’idées ainsi induites, des images et souvenirs en cohorte véhiculés. Osons, miroir des silences, de tout ce que chaque personnage n’a pas osé dire et qu’il retrouve, dès lors, dans l’obstination de ce gosse tout de refus. D’une manière presque proverbiale, heureusement l’auteur n’en fait pas une explication unique, ce sera d’abord la mère : le manque d’amour, la tendresse dépossédée de ses mots ordinaires. On note, au passage, une des ellipses du roman : cette mère est absente, sans autorité maternelle. La maltraitance tient aussi à la violence de ce silence. Et pourtant, par l’écriture, devine-t-on, Raymond Penblanc se garde bien de juger ses personnages. En commun, avec nous aussi il faut le reconnaître, ils partagent cette inaptitude à soutenir.
Nommer chacun c’est le renforcer dans le sentiment qu’il a d’être au monde, c’est le désigner comme élément essentiel de la digue que tous vont devoir dresser face à l’horreur, c’est les inciter à sortir d’eux-mêmes, à ne pas se laisser sombrer, à ne pas céder ni à l’accablement ni à la colère, après quoi je peux leur parler, leur dire qu’il faut s’efforcer de comprendre en évitant de juger, et ne pas condamner trop vite, d’autres s’en chargeront qui n’auront sans doute pas la main légère, pour leur dire qu’on est tous responsables, que chacun doit y prendre sa part
La belle empathie de notre responsabilité collective. Un drame quotidien, plein d’échos dans notre contemporain : un gamin en poignarde un autre. Comme un mendiant sur les quais de marbre cherche moins à démonter ce qui y a conduit, la violence parentale, que ce qui en prolonge la fuite. Assez habilement, le roman passe d’un personnage à l’autre, de l’avant aussi à l’après. Outre la conseillère d’éducation, pleine de compréhension, malgré tout débordée même si Raymond Penblanc n’insiste pas sur la dégradation des conditions de travail de ce difficile métier, on a été assez touché par l’épicière à la fois méfiante puis accueillante, taiseuse et pleine, elle aussi, d’une tendresse sans destination. Rien de glauque, de complaisance dans le sordide, de faciles dénonciations, de tacite acceptation, dans ce roman. Dès lors la référence à Rimbaud sert, je crois, à maintenir l’exaltation, cette manière de folie adolescente dont, à l’instar de Noces de givre, Raymond Penblanc préserve l’acuité, le désordre ou disons la surabondance. L’auteur se débrouille pour se détacher de l’extériorité du mythe rimbaldien : le gamin, sans vraiment le lire, juste dans une très séduisante sidérante incompréhension pour Les illuminations, s’éprend de ce modèle, en mime la révolte. On se fuit comme on peut, tout ceci n’échappe pourtant pas à la beauté. Là encore, cette explication ne suffit pas, le roman laisse subsister le mystère d’une détermination de nos gestes toujours insuffisante. Notons avoir été moins convaincu par l’opposition entre Rimbaud et Baudelaire, sans doute parce que ce dernier est moins développé, on parle moins de l’amertume de son spleen, le sombre charme de son refus. La poésie n’est qu’un détour, contrairement aux Oiseaux sous la glace de Kaska Bryla qui fait de la création poétique un motif de la jalousie, Comme un mendiant sur les quais de marbre insiste sur sa négative émulation. Dans les silences de la forme versifiée qui lui donne la parole, Raymond Penblanc parvient à suggérer, jamais surdéterminé, la part de responsabilité, sans excuse, que peut aussi avoir la victime. Rien que des gamins malhabiles. On notera également la discrétion avec laquelle l’auteur met en jeu la discrimination sociale qui rentre dans cette haine. L’occasion d’ailleurs de bienvenues aspérités dans ce roman dont l’écriture jamais ne coupe de l’émotion.
Un grand merci à l’auteur d’avoir bravé les aléas postaux pour me faire parvenir son roman.

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