Il est bon, parfois, de savoir s’octroyer une pause, un moment à (et pour) soi, de lâcher prise sans pour autant abandonner ses convictions, de se doter d’une respiration plus souple et de s’ouvrir une parenthèse de vie non dictée par les tensions extérieures. C’est ce que fait Jean-Claude Leroy dans les poèmes qui composent Dissipation.
« comme j’étais triste et démuni
j’ai lu les poèmes de Nanao
et j’ai retrouvé le sourire
ne surtout pas espérer
car c’est déjà un renoncement
et partir marcher le long des routes
au cœur des montagnes ou dans la pluie battante
éparpillés ou réunis
les miséreux marchent ensemble
pourvu qu’ils soient sans habits »
Si la lecture du poète zen et activiste écologiste japonais Nanao Sakaki, l’auteur du très stimulant , a déclenché l’envie d’écrire ces textes, d’autres événements (parfois douloureux, notamment la disparition de quelques-uns de ses proches) ou rencontres fortuites et conseils de sagesse captés à la volée l’ont également incité à rechercher une sorte d’apaisement.
« "ne te laisse pas faire
mais laisse-toi vivre !"
coincé sur un fauteuil roulant
dans un couloir de cet ehpad gris
ce vieillard me livrait sa devise
je l’ai juste regardé
il a souri »
ou encore :
« assis sur le seuil de sa raison
un vieil homme disait :
"les vrais combats
sont dans l’intestin" »
Ses textes réactivent des moments brefs qui n’ont d’autre prétention que de mettre au jour un mouvement de vie ordinaire où pourrait bien se cacher une certaine forme de sagesse, ou tout au moins une harmonie passagère. Cela ne lève pas pour autant ses doutes ("pourrais-je concilier ma vie avec ce renoncement / accepter la mort avant de la connaître / le réveil avant de me coucher ?"). Il doit composer avec ses interrogations, les tenir à l’écart, les raboter, les frotter aux éléments du dehors, à l’ombre, à la lumière, à l’eau surtout (pluie, rivière, océans, gouttières), pour qu’elles ne perturbent pas le bel élan de ces poèmes courts, écrits d’un seul tenant, tissés au plus juste, en un équilibre délicat.
« la tombe
le poème
l’œil
la perle d’eau
sans un seul chiffre
j’énumère le temps »
En dissipant, le temps d’un livre, les brumes tenaces qui pourraient, s’il n’y prenait garde, napper de gris sombre sa pensée, Jean-Claude Leroy s’ouvre un chemin de traverse intuitif et réconfortant. Il sait que la tristesse et la mélancolie ne l’ont pas perdu de vue mais il a réussi à prendre un peu d’avance sur elles.

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