Retrouvez l'article édifiant signé Pierre Jourde sur Le Monde diplomatique
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Pierre Jourde
Professeur à l’université Stendhal - Grenoble - III. Auteur, notamment, de La Littérature sans estomac, réédition Pocket, Paris, 2003.
Morceaux choisis :
Il
faut ajouter à cela un dense réseau de librairies. Beaucoup de
leurs propriétaires organisent des rencontres avec des auteurs,
sacrifient leur temps et leur argent pour défendre la littérature.
Un tel système permet à de nombreux écrivains de vivre et de se
faire connaître.
La
diversité des maisons d’édition, aussi bien par la taille que par
la spécialité, est un élément déterminant. Sans les petits
éditeurs de littérature, beaucoup d’écrivains ne parviendraient
pas à trouver leur place. Non que l’on publie dans les petites
structures des ouvrages plus intéressants que chez Gallimard ou
qu’au Seuil. Le choix n’y est, proportionnellement, ni pire ni
meilleur. Mais elles exercent au moins quatre fonctions essentielles
: permettre à de jeunes auteurs d’accéder à la publication ;
assurer la survie de genres peu commerciaux ; faire passer en France
toute une partie de la littérature étrangère ; rééditer certains
écrivains oubliés.
Le
véritable petit éditeur est indépendant. Il est diffusé en
général par un distributeur spécialisé dans les maisons de taille
restreinte, ou bien pratique l’autodiffusion. Il fonctionne avec
une ou deux personnes, souvent sur la base du bénévolat. Pour
certains, l’édition est un violon d’Ingres coûteux, et dévoreur
de temps. Quant à vivre de cette activité, ce n’est jamais
facile.
Ce
ne sont pas seulement les auteurs marginaux, ou les futurs grands
écrivains, qui trouvent provisoirement méprisés refuge dans les
petites maisons, ce sont aussi les genres et les tons mineurs,
négligés ou, comme autrefois le roman : érotisme, satire,
canulars, insolite, faux dictionnaires, catalogues d’expositions
loufoques, récits incongrus et univers imaginaires [...]. Tout n’est
pas réussi, mais les petits éditeurs demeurent le principal lieu
d’expérimentation et d’invention, sans lesquelles une
littérature ne vit pas.
En
dépit de leurs faibles moyens, ces éditeurs sont aussi,
fréquemment, des artistes, réalisant de beaux livres, que ce soit
dans la tradition – belles typographies, beaux papiers, belles
maquettes – ou dans l’invention, jusqu’à faire du livre un
véritable petit objet d’art moderne.
Les
petits éditeurs ont à la fois un problème de visibilité et un
problème d’argent. Les libraires croulent sous l’accumulation de
romans. Comment trouver un espace pour un recueil de poésie tiré à
trois cents exemplaires, mal distribué, et dont on vendra un ou deux
en six mois ? Non seulement les journalistes accordent presque toute
la place, à chaque rentrée littéraire, à deux ou trois livres
publiés par Flammarion, Grasset ou Albin Michel, mais les prix les
plus connus vont systématiquement aux grandes maisons.
Enfin,
comme s’il fallait définitivement en finir avec la pluralité et
avec l’édition indépendante, celles-ci envahissent les rayons
avec des tirages massifs, entassent des piles dans les Fnac. On
publie sept cents romans français en septembre. Cette abondance ne
signifie pas que le lecteur a vraiment le choix. Les mémoires d’un
chanteur ou le roman d’un présentateur de télévision chez XO ou
Jean-Claude Lattès ne sont pas nécessairement plus lisibles et plus
palpitants que, chez Allia, un récit d’Oliver Rohe ou une
réédition de Pierre Louïs. Mais, en l’absence de véritable
information, le lecteur moyen ne choisit pas : il prend ce qu’il
voit et ce dont tout le monde parle.
Certains
ont les moyens de lui faire croire qu’il choisit.
On
s’étonne donc des offensives régulières des grandes maisons
(l’une des plus récentes venant de Laure Adler, alors responsable
du département littérature du Seuil) qui s’en prennent aux petits
pour leur reprocher de n’avoir qu’un succès de snobisme, ou
d’encombrer les tables des libraires. Il ne suffit pas aux grands
éditeurs d’être riches, il faut aussi que les autres n’aient
pas le droit d’exister.
Il
en va aussi de la responsabilité de tous ceux qui interviennent dans
la diffusion du livre, afin que le public des petits éditeurs ne se
limite pas aux curieux, aux amateurs éclairés. Les libraires qui
tentent de soutenir ces maisons ont eux-mêmes besoin d’appuis.
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