À 36 ans, Jerk plaque tout pour tenter sa chance en République Dominicaine. L’œuvre de sa vie, ce sera une crêperie.
[...] En parallèle, au XVe siècle, Luis s’embarque avec Christophe Colomb pour son deuxième voyage. L’Amiral compte implanter une colonie en République Dominicaine. C’est la même histoire : celle de l’espoir que, Là-bas, ce sera mieux.
Luis n’a pas trop réfléchi à ce qu’il allait faire. Il pense qu’il va cultiver un lopin de terre : c’est ce qu’il a toujours fait. Pourquoi partir à l’autre bout du monde pour faire exactement la même chose que ce qu’il faisait sur sa terre ? Luis ne sait pas trop. Mais déjà, il peut espérer. Et ça, c’est nouveau. Dans un hameau d’Estremadura, où chacun se connaît, où tout le monde a décidé qui tu étais et ce que tu feras, on ne peut rien espérer. Espérer que ses enfants se portent bien ? Il n’en a pas. Que sa femme se porte bien ? C’est trop tard. Qu’il se remarie pour reproduire ce petit cercle d’espoir ? Non, justement, il n’a pas voulu. Ça l’étouffait. Il y va pour l’espoir de quelque chose. L’espoir est auto-suffisant, non ?
Quant à Gabriel, il a décidé de devenir marin. Il apprend avec les mousses. Mais alors, il rêve d’être capitaine, même s’il ne connaît rien à la navigation. Justement parce qu’il n’y connaît rien. Il ne voit que le bel uniforme et le salon illuminé dans le château arrière de la caravelle. Luis, lui, s’est vite rendu compte qu’il n’était pas fait pour la mer. Il est toujours un peu patraque. Il a du mal à réfréner l’angoisse de savoir toute cette masse noire et hostile autour de lui. À chaque fois que Gabriel parle de son projet avec force gestes, paroles et étincelles dans les yeux, Luis se rembrunit. Que Gabriel le quitte, ça ne lui plaît pas du tout. Il boude comme une maîtresse abandonnée. Luis ne se reconnaît plus. Lui, indépendant au point de tout quitter, le voilà réduit à dépendre d’un godelureau quasi-imberbe.
Ils sont partis depuis près d’un mois déjà. Un mois, c’est long. Les conflits sont rances comme la nourriture. Quand Luis sera arrivé, tout ira mieux. Il paraît que Là-bas il fait chaud et il pleut, la végétation pousse toute seule. Pour un homme de l’Estremadura, c’est un miracle.
Pour tromper sa peur de perdre Gabriel, Luis va voir les vaches et les chevaux dans les cales de temps en temps. Ils sont mal en point. Peu de lumière, du foin humide. Plusieurs sont blessés, déjà. Il faut constamment faire la chasse aux rats. Les chats embarqués n’arrivent pas à suivre la cadence. Si Gabriel devient marin, ils ne se verront plus. Alors que cette amitié, c’est pour Luis l’illumination de son périple.
pp. 70-71
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