Mais non, Jerk, t'es pas tout seul !...
Un peintre venu de nulle part se pointa chez Jerk, armé d’une carriole de pots de peinture et de rouleaux. Jerk eut immédiatement un préjugé négatif, car ce dernier portait un tee-shirt vert olive. Or, Jerk était allergique à cette couleur qui était celle du canapé de sa grand-mère. Quand il était petit, il devait y rester assis bien sagement, sans toucher le tissu avec ses pieds. Mais ses jambes étaient trop courtes pour avoir à la fois ses fesses au fond du canapé et ses chaussures en dehors. C’est là que son allergie se déclencha : chaque dimanche, c’était le même supplice.
Le peintre montra ses pots de peinture, et en fit une sélection pour la crêperie : vert amande, orange brique, bleu Majorelle et rose. Jerk était un peu rassuré, ce choix éclatant lui convenait bien. Le prix ? Oui, le prix allait aussi. Quand commençait-il ? Tout de suite. Alors, tout allait pour le mieux. Jerk laissa le peintre là, et partit à la recherche de quelques menus meubles pour son installation.
Le peintre se mit au travail. Il peignit, il peignit, on eût dit qu’il adorait ça. C’était vrai, cette sensation de recouvrir les murs d’une belle couleur, y avait-il plus jouissif ? Enfant, ce peintre adorait barbouiller ses feuilles et dépasser un tout petit peu aussi, c’était tellement plus marrant ! Il peignait, il sifflotait. Il aimait que le travail fût bien fait. C’est sans doute la seule différence avec son enfance : il avait cessé de déborder. Vraiment, cet assortiment de quatre couleurs, c’était magnifique. Le peintre terminait soigneusement un coin orange/bleu Majorelle quand Jerk revint de ses emplettes. Un hurlement de bête sauvage et blanche parvint à surpasser les klaxons et mi amor mi corazoooon. Un hurlement de Jerk halluciné. Les murs étaient parfaitement peints. Parfaitement. Même les tableaux de Calixte avaient été recouverts de peinture : bleu, orange, rose ou vert. Peinturlurer et peinture hurler sont très proches. Maintenant, on sait pourquoi.
pp. 84-85
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