Sur les traces de Fred Loram

À paraître avant la fin de l'année, Fred Loram, de Thierry Moral.



Thierry Moral n'est pas un nouveau venu en littérature. Il a déjà publié plusieurs titres pour tout-petits, ados et adultes.
Fred Loram, lui aussi, à sa manière, a déjà roulé sa bosse...


FRED LORAM
Fred Loram est un « road roman ». Il emprunte donc à son cousin du cinéma les mêmes ressorts : l’urgence des situations, le changement rapide de décors et la métamorphose du héros au gré de l’aventure.
Le road movie est un biais narratif pour mixer cavales, cavalcades et quête de soi. Il existe deux situations de départ : soit le protagoniste principal, un être passif mais poussé par des forces hostiles, doit entamer sa route, déjouer de nombreux pièges, obstacles qui se fortifieront le plus souvent ou, plus rarement, le tueront ; soit il est acteur dès le départ et, provoquant son histoire tout aussi mal pavée, il se retrouve in fine différent de ce qu’il fut.

Fred Loram est un dur. Pas un caïd, nuance. C’est un taiseux épris de liberté. Non pas qu’il ait un penchant pour le concept angélique de « la liberté », non, Loram aime avoir les coudées franches, se méfie des attaches quelles qu’elles soient. Sentimentales, domestiques, politiques. Il n’est pas misanthrope mais les gens sont tellement cons... Il faudrait les fuir. Oui, mais bon, ils sont là, les cons. En nombre et partout. Même souci pour le travail : on déteste marner mais il faut bien bouffer. Au sortir de prison, Fred Loram se voit proposer par la société une « réinsertion » ? Il y a trop de serrer dans réinsérer. Pas fait pour lui, ça ! Et puis au diable les solutions prémâchées ! Quand l’anarchisme n’est pas une façade convenue pour briller en société, comme sur Facebook par exemple, qu’il est compliqué de vivre dans un monde balisé ! Tout est paperasse, standardisation ; pas simple, c’est l’horreur ! Loram est définitivement hors cadre. Pas à la manière des SDF qui, depuis trop longtemps dans la rue, ont perdu les réflexes de base permettant de se maintenir à flot. Non, Fred Loram est sain. Son esprit ne vacille pas. Il n’est que viscéralement en désaccord profond avec le tronc commun. Le problème est que notre société n’est qu’un monstrueux prêt-à-penser. Ou alors, plus loin, rejetée, il existe bien une cour des miracles. Mais là aussi, des règles, toujours des règles, régissent tout et tous. Là, vous n’y verrez ni « képi » ni « Schmidt », certes, seulement des lames qui rendent la loi.
Et puis, pour anoblir tout à fait ce tableau, il y a les élus avec leurs combines mesquines, protégés par une poignée de skins en mal d’autorité. Une bande de S.A. à la petite semaine qui compte bien imposer ses intérêts à toute une presqu’île bretonne. Les habitants voûtent le dos, rasent les murs, comme de bien entendu... Loram n’a pas de programme, il a juste sa nature pour se révolter : il ne se laissera pas faire. Baisser son froc, c’est pas le genre de la maison. Mais pas de paroles, des actes ! « Dehors, les fachos !» bombé la nuit dans son village breton où il n’a d’allié qu’un animal bancal comme lui...
À cause de cette action en lisière du terrorisme, le piège va se resserrer. Loram incendiera sa petite maison – objet de spéculation des prometteurs et du maire – et quittera sa presqu’île où tout et tous, malgré l’air marin, puaient l’enfermement des gens petits. Non des petites gens.
Dès lors, le roman de Thierry Moral prend son caractère de road roman. Nous marchons sans cesse avec Fred Loram, dormons dans sa tente, faisons du stop et des rencontres plus ou moins heureuses. Loram pose régulièrement, à la manière d’une to-do list, son double objectif : poser des actes et survivre. « Il faut avoir les idées claires, avoir un plan. » La cavale, quand elle ne bénéficie pas d’un soutien mafieux devient vite une grosse galère... Loram dort sur des ronds-points, s’immisce dans un théâtre, squatte, tout en préférant les solutions de la solitude. Des femmes lui veulent du bien... Baiser une nuit pour un toit et un repas reste concevable. Pas deux. Éviter la glu des sentiments. Il saisit toutes les opportunités pour gagner un peu de blé et surnager. Pas facile, évidement (On pense ici à La Faim de Knut Hamsun). Pourquoi ne peut-il être tranquille, seul, et gagner sa vie au noir ?! Loram est ingénieux ! Pas feignant ! Mais, encore et toujours, Loram bute contre un monde qui n’est vraiment pas taillé pour lui. Les galères usent, même les plus vaillants. Son action anarchiste perd de son efficacité, d’autant que ses soutiens « anars » ne sont pas d’une efficacité « commando » : quelques velléitaires, un peu de bras cassés... Les premières avanies montrent le bout du nez. Fred commence à puer et devient sans force. La précarité où sa nature révoltée l’a mené a commencé un travail de sape en profondeur. Trop profond, sans doute ?

Fred Loram est un roman écrit sur les chapeaux de roues. On sent physiquement les semelles s’usant sur le macadam. Les phrases sont courtes, économes. Les dialogues brefs rendent compte du caractère taiseux et viril du personnage. N’allez pas vous imaginer un « autonome » fantoche ressorti des affaires classées des années 1970. Fred Loram est un être rare. Si rare, si peu banal, que l’on se demande si un tel personnage peut exister ? Si affranchi, si courageux ? Si irréconciliable ! Pour ma part, je n’en connais pas.

La très belle partie finale du roman de Thierry Moral adopte une structure différente. Ici, l’auteur abandonne la narration. Moral s’adresse aux lecteurs. Cela tient à la fois de la litanie et de l’incantation presque menaçante. Les pistes se brouillent. Lucidité et fièvre se mêlent. Nous sommes pris à parti. Obligés de nous démettre ou de partager ses visions. Nous ne sommes plus « invités » à lire un road roman. C’est fini, tout ça ! Nous sommes à présent sommés de le lire, lui, Thierry Moral, de partager son monde qui « doit » devenir le nôtre.
JFD

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