La toute petite fille monstre (premier roman d'A. Nebojša)
paraît le 19 de ce mois (pas besoin de regarder un calendrier : ça
tombe mardi prochain).
Bon, nous, ce qu'on en dit...
Le
20 décembre 2011, Monika Ilić-Simonović, surnommée la « petite
jeune fille-monstre » (devojčica-monstrum) a été arrêtée à
Prijedor par la police de la Republika Srpska. Elle est soupçonnée
d’avoir, en mai 1992, perpétré des crimes de guerre contre des
civils non-serbes dans le camp de Luka, à Brčko, dans le nord de la
Bosnie.
L’histoire que nous raconte A. Nebojša est d’autant
plus terrible qu’elle s’inspire de faits réels datant de tout
juste vingt ans, quand la Bosnie-Herzégovine proclama, le 6 avril
1992, son indépendance, s’attirant ainsi les foudres des forces
serbes. S’ensuivirent trois années de douleur et de sang d’une
guerre en plein cœur de l’Europe, qui prit officiellement fin avec
la signature des accords de Dayton, le 14 décembre 1995. Plus de
cent mille personnes furent massacrées, on parle même de carnage.
On se souvient surtout des villes martyres, Srebrenica et Sarajevo ;
il y eut également Brčko, comme nous rappelle A. Nebojša dans
son roman.
Cependant, plus qu’un compte-rendu historique
abondamment documenté, La toute petite fille monstre est avant tout
une œuvre romanesque accordant une large part à la fiction :
«
J’ai bien conscience que cette Monika-là, celle de mon roman,
n’existe pas réellement.
Mais elle compte quand même. Elle a
un sens. Elle veut que nous comprenions que chaque être humain n’a
besoin d’aucune excuse. Ni pour être bon, ni pour être le pire
des monstres. Constat terrifiant. Il suffit de faire sauter le carcan
que nous avons appris à porter dès notre naissance. »
« Homo
homini lupus », écrivait Plaute ; et ils sont nombreux, les
grands auteurs et penseurs, et pas des moindres, à avoir colporté
cette sombre vision de la nature humaine : Érasme, Rabelais,
Montaigne, d’Aubigné, Bacon, Hobbes, Schopenhauer, Nietzsche et,
bien sûr, Freud avec son essai Malaise dans la culture (1929),
qui précise que « la passion pour le meurtre est première. La
morale est une construction historique secondaire ». Pour Freud, la
guerre, comme le rêve, exonère des codes sociaux et des contraintes
morales, donnant libre cours aux pulsions agressives normalement
refoulées.
Alors,
l’homme serait-il naturellement mauvais ? Y aurait-il un plaisir,
une jouissance de la cruauté ? Ou la guerre banaliserait-elle le mal
?
La réponse apportée par La toute petite fille monstre est bien
plus subtile que cela. Si les premières pages retracent avec un
pragmatisme brutal les châtiments infligés aux prisonniers
musulmans et croates, exsudent la violence, la férocité des
exécutants dociles enrôlés dans ce génocide, elles n’ont rien à
envier à celles, bien plus nombreuses, consacrées à l’après-guerre
et au retour à la normalité de son héroïne.
Car Monika – la
Monika du roman –, souffre et se languit d’une vie autre que
celle du sécurisant anonymat de l’après-guerre, où la seule
nécessité est de travailler pour manger et de manger pour vivre.
Elle s’étiole et s’ennuie dans un monde prosaïque où elle
n’a pas sa place. Ce n’est pas une femme avide de souffrance et
de sang, mais une femme éprise de liberté. Monika n’est pas
perverse, il n’y a aucune malignité dans les tourments infligés à
ses victimes ; juste l’ivresse de sa parfaite impunité, et
l’abyssal, l’incomparable sentiment de liberté.
Par-delà le
bien et le mal.
«
Il y avait là-bas, il y a bien longtemps, une petite jeune fille de
16 ans... »
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