On vous aura prévenus !

La toute petite fille monstre, premier roman d'A. Nebojša inspiré de faits réels, n'en est pas moins une œuvre de fiction.


Avertissement


Monika est entrée dans ma vie en deux temps. La toute première fois, c’était le 22 décembre 2011. Le jour de mon anniversaire. Curieux cadeau. Un article de journal m’apprend son existence. Juste quelques phrases : « Soupçonnée de crimes de guerre contre des civils non serbes dans le camp de Luka, à Brčko, en mai 1992, Monika Ilić Simonović, surnommée la "petite jeune fille monstre" a été arrêtée mardi 20 décembre à Prijedor par le police de la République Serbe. »
Comment ne pas être intriguée ? Je ne peux m’empêcher de tenter d’en savoir plus. Et au fur et à mesure que j’avance dans mes recherches, cette femme me fascine et me terrifie. Les extraits du procès de Goran Jelisić, son amoureux de l’époque des faits, me sidèrent : comment tant de monstruosités peuvent elles se cacher dans le corps gracile d’une fille à peine sortie de l’enfance ?
Je veux comprendre. Je veux la rencontrer, lui poser toutes les questions qui se bousculent dans ma tête. Mais je perds sa trace entre le TPIY et les tribunaux de Brčko aux mails invalides et aux secrétaires revêches.
Je n’ai réellement fait la connaissance de Monika que quelques mois plus tard. En avril. Chez moi.
L’hiver avait été particulièrement rigoureux pour la région parisienne. J’avais passé la journée à retourner la terre de mon potager dans un froid soleil de printemps. Celui qui nous paraît toujours une bénédiction, malgré sa timidité, parce qu’il est le premier à nous réchauffer après des mois de grisaille nuageuse. J’étais épuisée. Je me suis assise sur mon lit et je sombrais, en dépit de cette position inconfortable, dans un coma bienheureux.
Monika m’a surprise là. Elle s’était assise à côté de moi et elle me regardait silencieusement de ses grands yeux bleus. Elle avait l’air de me supplier de la raconter, de donner vie à son fantôme léger. Je me suis levée, et je n’ai plus lâché mon crayon pendant le mois qui a suivi. Tous les papiers chez moi étaient gribouillés. Même les tickets de métro et les tickets de caisse y passaient. Monika ne m’a pas lâchée jusqu’au point final. Elle m’a soufflé les bons mots, les émotions justes.
J’ai bien conscience que cette Monika-là, celle de mon roman, n’existe pas réellement. Mais elle compte quand même. Elle a un sens. Elle veut que nous comprenions que chaque être humain n’a besoin d’aucune excuse. Ni pour être bon, ni pour être le pire des monstres. Constat terrifiant. Il suffit de faire sauter le carcan que nous avons appris à porter dès notre naissance.
Ma Monika s’évaporera au moment même où vous tournerez la dernière page de ce livre. Mais sachez qu’il existe une Monika quelque part sur cette terre. Les faits relatés dans la première partie du roman, ceux qui se déroulent pendant la guerre, ont été racontés devant le TPIY par ceux qui ont survécu aux terribles guerres des Balkans.
Il y a bien un Goran Jelisić, en prison pour quarante ans.
Il y a bien une Vera Simonović, en train de vieillir dans un ancien bordel de Bosnie.
Il y a bien une Monika.
Elle, la vraie, doit être très différente du personnage que j’ai imaginé. Mais elle a au moins un point commun avec ma Monika à moi : elle est née de la neige de l’ex-Yougoslavie. Elle a vu le jour dans cette contrée incroyable qui kidnappe le cœur de ceux qui, comme moi, y ont un temps vécu.
Comme la mienne, la vraie Monika est l’enfant d’un monde mystérieux où la beauté étourdissante cohabite, cruelle, avec ce qu’il y a de plus atroce planqué au fond de l’âme des hommes.
J’espère rencontrer un jour cette Monika-là.


Commentaires

  1. Un ovni dans le monde littéraire.
    Ecriture ensorcelante.
    L’acuité des mots, leur cadence, transcendent au fil de la lecture.
    Le lecteur est sans relâche envouté par le style tranché, qui fait dichotomie entre perversité élégante, et violence raffinée.
    Le lecteur illusionné découvre avec étonnement la profondeur de sa propre capacité d'osmose intuitive et immédiate, avec un texte.
    Voilà comment une plume douée d'intelligence, de sens esthétique, de mépris, et plein d'autres choses ... beaucoup de choses (à hautes doses), met au monde un bijou littéraire.
    C'est l'électrochoc orgasmique à toutes les pages.

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