Lorsqu’il
atteint la rue Blanche il prend à droite, mais ces rues ne
remplissent pas le vide. Sa tête est une caverne sonore aux
peintures indélébiles. Les mêmes dessins et la même figure
s’animent au flambeau des regrets. La rue Mansart, puis la rue de
Douai. La brume se fait corps conducteur, qui se dépose sur ses
vêtements, ses sourcils et ses cheveux, des particules cosmiques
remplies de l’énergie du monde immédiat. Aux odeurs de pots
d’échappement succède une bourrasque de pains chauds, un homme
grignote le quignon d’une baguette au sortir de la boulangerie et
le bruit du papier froissé griffe l’air. Les voitures sont plus
nombreuses au carrefour de la rue Pigalle. Thomas lève les yeux vers
les lumières du Sacré-Cœur auréolé d’hiver puis prend la rue
Massé. Il presse le pas maintenant, appelé par ce qu’il sait de
l’animation qu’il recherche. L’absence, l’absence est trop
lourde à porter dans le silence, les images du corps qu’il
habitait trop douloureuses à convoquer. La mémoire se nourrit de
contingences : la flexion d’une voix le pique au cœur, et là le
motif d’une écharpe se fait seau de sang sur ses pieds. Il ferme
un instant les yeux, dérisoire paravent contre un vertige de la
perte où les mains recueillent à la pelle des bribes de phrases et
des pans de soupirs écroulés soudain, si vite, si tôt. Thomas
serre son téléphone et ses clés au fond de la poche de son
manteau. Les couples qu’il croise ou qu’il dépasse sont-ils si
heureux vêtus de leur vendredi soir ? La rue des Martyrs le frappe
en plein ventre et l’agrippe d’une main de pas pressés.
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