Les gens qui écrivent se présente... même pas, mais se devine tout
nouveau blog littéraire (les premiers articles datent d'à peine
quelques jours). Ce que l’on peut en dire, pour l’instant, c’est qu’il démarre plutôt bien, avec un long article entièrement dédié à Marlene Tissot.
MARLÈNE
TISSOT : POÉSIE SIMPLE
Marlène
Tissot semble s’être jetée dans l’écriture en espérant y
trouver un lieu pour dire sans enfermement ses désirs et ses
fantasmes, ses doutes et ses crises. D’une écriture qui traduit le
sentiment, le fait rebondir, l’exhibe puis l’efface au sein de
textes qui s’incorporent les uns aux autres et finissent par
s’auto-dévorer, elle déploie un univers violent aux mots très
fins, comme si, chez elle, un voile retenait difficilement un liquide
de tristesse.
Œuvre
en lambeaux et qui se disperse, depuis une dizaine d’années, en
une multitude de textes autonomes parus dans des revues alternatives
et fanzines, sous forme de mini-livres, de plaquettes microéditées,
de recueils de poèmes, et d’un premier roman remarqué (Mailles à l’envers,
paru chez Lunatique), son écriture s’approche d’une performance
sans fin qui cherche à débusquer une poésie simple dans le
matériau autobiographique et la quotidienneté.
Cette
« poésie blanche » n’est pourtant pas transparente
mais elle s’exprime, au contraire, en jouant d’une étrange
complémentarité entre simplicité, voire naïveté, et crudité du
langage : « je regardais le monde tourner / je regardais mes
seins pousser / dangereusement violemment / ça me filait le tournis
/ ça me filait la gerbe / l’impression que je ne comprenais rien /
ou que je comprenais trop. » (Mailles à l’envers).
L’écriture
de Marlène Tissot semble ainsi enfantine, limpide, suivant les
traces d’Éluard (hors période surréaliste) en travaillant, de
façon implicite, la violence intime et le truisme d’une vie, d’une
adolescence : « C’est étrange parfois les simulacres de
sentiments. Ces trucs qui poussent en nous et qu’on ignore dans
quelle case ranger. Cet été-là, mon cœur n’en faisait qu’à
sa tête. Il me prétendait amoureuse. Peut-être y ai-je cru.
Peut-être était-ce davantage le plaisir de voir enrager papa qui
faisait palpiter l’oiseau dans ma cage thoracique. Papa détestait
Seb. Surtout quand il venait me siffler en bas de l’immeuble.
Pourquoi tu laisses ce petit con t’appeler comme une chienne ?,
demandait papa » (Mailles à l’envers)
« Enfantine »,
son œuvre l’est également de par les ressassements qui traversent
ses lignes et particulièrement son premier roman : des parents qui
n’en sont pas, une adolescence à zoner, différente, et le spectre
de la prostitution, du viol, du dégoût de toute sexualité. Naître
est un inconvénient : Marlène Tissot a longtemps eu
l’impression de porter le poids d’une vie qui ne semblait pas
être désirée, culpabilité qu’elle explore dans son écriture :
« je sais pas pourquoi je me suis accrochée si fort à la
paroi sanguine de l’utérus de maman. Pourquoi j’ai pas lâché
prise […] mais j’étais née, avec la grâce d’une merde. Un
plouf et quelques vagues au fond de la cuvette. »
La
simplicité et la lente remontée vers celle-ci qu’occasionne
l’écriture, Marlène Tissot la débusque toutefois avec des
dispositifs d’écritures particuliers :
-
dans Mailles à l’envers,
par exemple, la narration, basée sur un système d’ellipses, de
prolepses et d’analepses, permet au lecteur de se plonger dans les
errances d’une enfance en suivant les méandre de la psyché du
narrateur ;
-
dans Mes pieds nus dans tes
vieux sabots bretons
(éditions – 36°, coll. « 8pa6 »), le récit s’éclaire
par l’entremise de photographies ;
-
dans J’emmerde (éd.
Gros texte), les poèmes prennent la forme de mini-pamphlets où se
mêlent ironie et douceur ;
-
dans Je me souviens c’est
dimanche (éd.
Asphodèle, coll. « Confettis ») deux souvenirs éloignés
de vingt ans se font faces.
Enfin,
dans (ne pas) vieillir (At
Home éditions), elle s’interroge pour illustration sur la
vieillesse et sa récupération par la publicité à l’aide
d’images extraites de magazines féminins, dans une langue qui met
à l’épreuve la banalités des mots publicitaires et exprime avec
clarté un sentiment commun mais non moins intime : « Il faut
rester beau – fort – lisse / sexuellement actif et désirable /
soigner son corps / garder sa joie niaise d’adolescent // Il faut
être performant / séduisant / ne jamais fatiguer / savoir s’amuser
// Ne surtout pas laisser le temps gagner / tracer ses sillons, nous
amoindrir // Le temps est devenu l’ennemi public n°1 / l’éternité
est un territoire à conquérir. »
Il
y a une dualité intrigante dans l’œuvre de Tissot, comme si deux
femmes cohabitaient (pacifiquement ?) au sein d’un même corps
d’écrivain : une petite fille douce et triste qui se trouve
parfois « ridicule » et une femme plus violente à la
plume acérée qui sait, avec tendresse, qu’elle « a pensé
l’âge de ce genre de conneries… » (London
Trip Diary,
éd. At Home). Elle le dit elle-même : « j’y voyais que
dalle mais j’avançais. Vers l’avenir, ou quelque chose dans le
genre. »
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