Si le roman de Jérémie Lefebvre, Le Collège de Buchy semble beaucoup déranger, il en est qu’il libère et soulage de souvenirs que les années n’auront pas effacés.
« Avertissement : ce message est écrit d’une traite, avec mes tripes. Il est forcément trop long pour les standards de la lecture 2.0, trop mal fagoté pour les puristes de la littérature classique, il faudra que je le reprenne. Je réclame votre indulgence, je n’en ai pas le temps aujourd’hui, et pourtant j’ai ressenti le besoin que « ça sorte ».
Premier
flashback. 2013, Collège Jeanne d’Arc, à Sceaux (Hauts de Seine)
– puisque se pose la question de savoir s’il faut nommer, ou pas,
ces lieux. Nommons-les, donc. Car peu importe que ça soit en
Normandie, dans les années 80, ou bien aujourd’hui dans une des
villes les plus huppées de la région parisienne. Où les parents en
loden font la queue avec leurs 4x4 pour déposer leur progéniture en
fringues de marque. Mon Buchy à moi, c’était dans les années 70,
une banlieue « middle class » : Maurepas, Yvelines. Le
collège s’appelait – et je le réalise 40 ans après – Louis
Pergaud. L’auteur en 1912 de La Guerre des Boutons, ceux de
Longeverne, Lebrac, et Velrans. Les pionniers de « la chique et
du mollard » : le seul traitement qu’on m’ait administré à
cet âge-là contre l’acné.
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to 2013, donc, Collège Jeanne d’Arc, à Sceaux, rue des
Imbergères, je viens chercher ma fille. Et là, furtivement, un
gosse de 4ème qui en double un autre, lui balance une béquille que
je suis le seul à voir. La victime vacille, le sac qu’il tient à
la main tombe, toutes ses affaires de classe se dispersent sur le sol
– la tartine qui tombe toujours du mauvais côté. Heureusement, le
trottoir est sec. Le bourreau croise le regard de sa victime, pour
s’assurer que le coup est réussi. C’est le cas, pas besoin –
je l’espère - d’avoir connu la même chose pour reconnaître sur
le visage du préado à la Agnan toute la douleur physique
instantanée, mêlée à l’incompréhension, et surtout à cet
abattement de celui qui sait que ce n’est ni la première, ni la
dernière fois que ça lui arrive. Juste un « Pourquoi ? »
qui sort de sa bouche. Juste ce qu’il fallait pour que l’autre
jouisse de sa toute-puissance, et reparte sans un mot rejoindre ses
potes à qui il va narrer son fait d’armes – d’une phrase
lapidaire comme « J’ai mis sa branlée à Agnan, il a grave
le seum » -, qui leur donnera leur kif de l’instant.
Et
moi qui me demande… Dois-je rattraper la brute, lui montrer que je
ne veux plus de l’impunité à laquelle il croit échapper, et
devenir moi-même une brute ? Consoler la victime, pour lui dire
qu’il n’est pas seul ? Ce qu’il sait déjà, car il a vu dans
sa piaule la vidéo d’Indochine, et qu’il sait aussi que ça ne
changera rien. Mais je dois juste aller chercher ma fille, qui est
plus souvent du côté des bourreaux que des victimes. Elle a choisi
son camp, camarade. Comment lui donner tort ?
Et
je me retrouve là, avec le même sentiment d’impuissance que 40
ans avant, à me demander ce que j’aurais pu faire, mais il est
déjà trop tard, tout se passe si vite, je n’étais pas préparé
à ça.
Alors,
quand j’ai lu le bouquin de Jérémie Lefebvre, je n’ai
pas pensé qu’il y allait trop fort. Non. Il a juste écrit ce
livre avec ce mal au bide du mec qui vient de se prendre un uppercut
au foie. Lecteur, lectrice, soit ça t’est déjà arrivé, et tu
sais de quoi je parle. Sinon,
désolé de te dire que tu ne connais pas vraiment la vie, et je ne
sais pas te dire si tu as de la chance. Mais tu devrais juste
réfléchir un peu avant de juger ceux à qui c’est arrivé. Entre
ceux à qui deux ou trois fois ont suffi pour rallier le camp des
bourreaux – forcément la majorité, au moins chez les garçons.
Les filles qui ont opté pour la neutralité façon suisse, ou façon
trois petits singes (rien vu, rien entendu, je ne dis rien). Et ceux
et celles qui, trop écorchés, trop différents, n’avaient pas
vraiment le choix du camp et sont restés du côté des victimes. Et
sont devenus anorexiques, geeks. Ou ministres.
Je
sais trop à quoi conduit le hit-parade des douleurs enfouies. Juifs,
Palestiniens, Arméniens, femmes battues, violées, enfants martyrs,
réfugiés, victimes du racisme, de
l’homophobie, la liste est longue et se rallonge chaque jour.
Alors, un gamin qui se prend des bourre-pifs, merde, y’a pire dans
la vie. En plus il a une tête de con. Je le connais, il est premier
de la classe, prétentieux, arrogant. Il ne fait pas l’effort de
comprendre les autres parce qu’il se croit supérieur, avec ses
lunettes et ses bouquins.
Pourquoi
il nous emmerde alors qu’il va réussir dans la vie. Merde, y’a
plus grave, t’es d’accord, non. D’ailleurs il le sait aussi,
puisqu’il ferme sa gueule. Il sait que ça n’est même pas la
peine d’en parler à ses parents. Eux, ils ont de vrais problèmes
à résoudre au quotidien.
Alors
en plus ce mec ose donner des vrais noms de lieux. Genre Buchy. Pour
qui il se prend. Qu’il écrive un truc anonyme. Ou qu’il renomme
ça en Chaminadour comme Marcel Jouhandeau, un vrai écrivain, lui.
Ou bien qu’il se fasse appeler Eddy
Bellegueule.
Mais qu’il se permette de donner des vrais noms, et puis quoi
encore.
Sauf
que.
Le
nom propre, c’est peut-être Buchy. Mais le nom sale, celui qui
nous revient à la gueule comme de la chique et du mollard, c’est
« collège ». C’est de l’universel.
Arrêtez
de vous sentir visés, ce sont des générations de gamins qui
passent dans cette machine à rendre cons, et, victimes, bourreaux,
ou rien du tout, documentalistes ou professeurs, notre seul tort est
d’être passés par cette case-là et d’avoir fait semblant
d’oublier.
Jérémie Lefebvre, lui, n’a pas oublié. Je l’en remercie. »
Enzo
Pezzisolo (pseudo Facebook)
La
bibliothèque de Sainte-Croix-sur-Buchy est heureuse d’accueillir
Jérémie Lefebvre pour évoquer son dernier roman, Le Collège de Buchy, le samedi 14 novembre, à 10 heures.
Une
séance de dédicaces avait été annulée à Buchy, suite à des
menaces reçues du libraire. C’est donc avec grand plaisir qu’une
rencontre aura effectivement lieu, comme le souhaitait l’auteur :
« Je regrette beaucoup cette opportunité manquée de débattre
avec des lecteurs de la région, élèves d’hier et d’aujourd’hui,
professeurs et parents, sur ce sujet difficile mais important. Il me
semble qu’une rencontre au collège, autour du livre et plus
généralement autour du sujet du harcèlement, serait l’occasion
d’une réflexion riche, forte, intéressante pour tout le monde »
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