Saïd Mohamed est romancier et poète. C’est par ses deux recueils de poésie publiés au Dé bleu que je l’ai découvert : Délit de faciès (1989) et Mots d’absence (1987). Il publie aujourd’hui un court texte en prose aux Éditions Lunatique, Monsieur Ernesto, un texte inclassable (nouvelle, roman, récit ?) : c’est un livre à lire au deuxième degré, voire au troisième. C’est un long monologue dans lequel le narrateur intervient très peu, tenu par un vieil anar pour décrire la société occidentale capitaliste comme il se doit. Anar de droite ou de gauche, c’est selon !
Comme
tous les piliers de bistrot, Monsieur Ernesto (qui doit son sobriquet
à son « béret enfoncé jusqu’aux oreilles qu’il porte en
permanence et à son art de tout contester » : cela
rappelle le Che) est un personnage haut en couleurs qui n’est pas à
une contradiction près. Ainsi l’enseignant est-il (p 30) « un
fonctionnaire sûr de son savoir, lequel étale plus sa culture qu’il
ne fait preuve d’intelligence au contact de ces Gremlins en manque
d’affection » mais il est (p 32) « un triste prof
castré par son administration versus le plaisir déversé à flots
par la tétée quotidienne des ondes hertziennes qui leur dilate la
rate, aux Gremlins » qui ne peut pas grand-chose ! Le
lecteur aura reconnu dans les Gremlins, non pas ces petites créatures
imaginaires popularisées par un film étasunien et qui ravagent une
ville de ce beau pays mais les enfants d’immigrés au chômage
abreuvés par « l’éducateur cathodique » qui en fera
des délinquants ! Ce lecteur hésitera entre le fonds de vérité
et le ramassis de clichés… Le passage sur les guerres est hilarant
et tragique à la fois. Finalement, ce que dénonce Saïd Mohamed via
son personnage, c’est la course au profit. « Pour tout, il
faut trimer, payer et supporter les discours des intégristes de
l’économie ». Au lecteur donc de faire le tri dans les
propos tenus par Monsieur Ernesto pour se faire son opinion et agir
en conséquence.
C’est
écrit dans une langue drolatique, il faudrait tout citer ;
c’est pourquoi il faut absolument lire ce mince ouvrage. C’est
bien construit, le narrateur qui apparaît dans la première page
s’efface dès la deuxième pour laisser la parole à Ernesto et,
après de brèves interventions dans le texte, ne réapparaît qu’à
la fin (pp 39-41) où Saïd Mohamed avoue : « C’est dans
ce rade que je viens écouter la petite musique de la vie jouée trop
bruyamment. Elle prend le dessus. Tout le reste paraît fade, trop
fade. Il ne fallait rien dire et écouter, surtout ne pas essayer de
discerner le vrai du faux, l’énorme du sensé, le gag du bon
mot ». Au lecteur de discerner, du travail lui reste à faire !
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