Allez
! Disons-le, d’entrée : MonsieurErnesto est
le porte-flingue de Monsieur SaïdMohamed.
Car le bonhomme, familier du café Chez
Nicole,
tire sur tout ce qui bouge, avec précision, férocité, sans état
d’âme, sans ce faux semblant, ce trompe-couillon, cette couche
superficielle de civilisation qui sied à nos contemporains fiers de
leur « patrie
des droits de l’Homme » mais
qui claquent la porte au nez des infortunés déguenillés du Sud ou
de l’Est, fiers du triptyque républicain mais qui, au nom de
l’égalité et de la fraternité, se soucient davantage d’une
chemise déchirée que d’existences brisées par ceux que l’auteur
appelle sans doute « les
intégristes de l’économie ». « À savoir à
quoi ça sert toute cette saleté de progrès », dixit Monsieur
Ernesto.
Parfois,
l’habitué du comptoir sort le bazooka. C’est gros. Exagéré. Au
point de blesser quelques innocents. Affaire de fesses souvent, de
tournantes parfois. Affaire aussi de fonctionnaires - « un
fonctionnaire ça fonctionne. Ça n’est pas fait pour réfléchir ».
Ça peut frôler l’inacceptable. Saïd
Mohamed ne
prend pas de gants. A n’en pas douter, il s’amuse. Et le lecteur
aussi, pour peu qu’il soit sensible à cette plume qui écrit sans
concessions, en toute liberté. Saïd
Mohamed fait
partie de ces écrivains-poètes, rescapés de l’Adass, miraculé
de l’existence qui, plutôt que de dézinguer - littéralement -
ses contemporains, préfère le faire, littérairement. Écrivain
rare qui écrit sans forligner, fidèle aux siens, les réprouvés de
la terre, de la migration et des usines. Espèce
rare en voie de disparition, gavroche de l’écritoire qui mêle à
la gouaille reçue en héritage la poésie des mots. Et le bourgeois
est dans le collimateur : « C’est
pas possible ce que le bourgeois peut-être niais ! Ça ne pense qu’à
moitié. Normal, ça n’a pas besoin de réfléchir aussi vite que
nous pour survivre dans cet univers, alors les neurones s’enkystent.
C’est la seule explication. J’en vois pas d’autre ».
Ainsi, Monsieur Ernesto vient
de faire irruption dans l’œuvre de Saïd Mohamed.
Une quarantaine de pages, une esquisse donc, la préfiguration d’un
personnage à construire, à qui il faudra donner du corps, de la
chair. Pour ce qui est de l’âme, on en a déjà une petite idée.
Bien sûr, « Monsieur
Ernesto » est
un sobriquet dont on est coutumier dans le populo - de « souche » ou
immigré. Dans le bistro paternel on apostrophait le quidam à
coup de « Neuneuille » et
de « Quatre
et trois sept » (le
premier pour celui dont la vue baissait, le second pour celui qui,
accident ou malformation, boitait d’une jambe). Ici, c’est un
béret, encore et toujours visé sur la tête de notre « client » qui
lui a valu le surnom. Un béret comme celui du camarade qui a fini en
T-shirt pour gogos. Mais il n’y a pas que le couvre-chef qui
rappelle le révolutionnaire argentin. Il faut écouter Monsieur
Ernesto tomber sur les féministes, les écolos, les militaires et
autres va-t-en-guerre, l’administration inquisitrice, les
hypocrisies particulièrement rentables de
la « justice » pénitentiaire, l’économie de
la drogue dont s’accommoderait « le système », le
bizness de la guerre, les l’influence des pesticides sur la
fécondité, vanter la « bagatelle » qui
se termine en grossesse plutôt que les discours « pervertis » qui
se terminent en bain de sang, sans oublier les médias, dealeur de
peur et accros à l’audimat ! D’ailleurs, à propos des
réfugiés, « dès
qu’ils le peuvent, certains fuient nos guerres mal faites.
Autrement, ils crèvent en patera dans la Méditerranée, et dans
l’indifférence la plus totale. Ça mettait la larme à l’œil à
tout le monde, à l’époque, les boat people qui fuyaient les
Bolcheviks. Ça c’était une bonne cause à défendre. Mais, un
pauvre Nègre ou un Arabe qui fuient une guerre qu’on a
volontairement organisée dans leur pays, ça faut pas tripette à
l’audimat ».
C’est écrit avant l’émotion suscitée par l’insoutenable
photo du jeune Aylan.
Alors
allons faire un tour en banlieue, ici pas de photos, donc rien de
nouveau. « Sur
la délinquance, il y a bien une recette : entasser des pauvres d’un
autre pays dans des cités construites par des types qui sortent des
grandes écoles et qui n’y habiteront jamais. Et pour cause, dans
les quartiers aux esclaves, on y loge les esclaves, pas les
dominants ».
Et voilà notre Ernesto qui multiplie les descriptions et les
explications sociologisantes. Et il n’a sans doute pas tort quand
il affirme que « pour
s’en sortir, ils [ces
jeunes de banlieue] devront
être des Superman, des Rambos ; sans ça ils ne pourront prétendre
à rien d’autre ».
Et malgré le laïus anti fonctionnaire, personne n’étant à une
contradiction près, Monsieur Ernesto, sans doute après avoir
glouglouté quelques verres, revient à la raison : « Depuis
le temps que les tubes cathodiques leur défèquent dans le cerveau,
à ces enfants-là ! Normal qu’ils finissent par ne plus rien y
comprendre. Et ce serait la faute de l’éducation nationale si le
monde va si mal ? Mais, que peut un triste prof castré par son
administration versus le plaisir déversé à flots par la tétée
quotidienne d’ondes hertziennes qui leur dilate la rate, aux
Gremlins ? ».
De
cela tout le monde s’en fout. Finalement, il y a deux façons de
réussir et attendrir le chaland : le faire chialer de compassion
pour une de ces femmes, abstèmes et soumises, mais ô combien
courageuses, voire, dorénavant, pour un gamin qui a fini sa courte
course le nez dans le sable, où alors le faire rire. Mais pas
n’importe comment : « Si
vous voulez passer pour un comique, imitez leur sabir et vous ferez
tordre de rire n’importe quel natif local-local lors d’un repas
de noces ».
A méditer…
Reste
que « pour
la première fois, la génération présente sait que l’avenir
n’est pas assuré », « le
rêve est terminé. La réalité s’est imposée ».
Et le presque cynique Monsieur Ernesto serait déjà dépassé par
cette réalité ! Le sage rabbi Nahman de Braslav enseignait
que « plus
les temps seront durs, plus notre rire sera fort ».
Il n’est pas certain que ce Monsieur Ernesto fasse
rire - quoi que ! - mais en tout cas, sa voix permet de recouvrir les
discours de ceux qui ont fait du boniment leur profession et qu’« on
croirait démoulés d’une usine à cons ».
Mustapha
Harzoune, Histoire et Immigration
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