Été
1936. Moins de vingt ans après la « grande boucherie »,
l'Europe bascule de nouveau dans l'horreur. D'abord avec la guerre
civile en Espagne, qui devient une réalité tangible pour Jeanne, 18
ans, lorsque les premiers réfugiés politiques ibériques arrivent
dans son Finistère natal. Mais grandir dans une époque trouble
n'empêche pas de connaître ses premiers émois amoureux… Deuxième
extrait, sur le site Terri(s)toires de Prête-moi ta plume, de Raymond Penblanc.
Et parce que c'est fête (d'anniversaire, bientôt !), voici du rab d'extrait :
« Heureux
auspices ?
Non seulement cet enfant sera du signe des Poissons, mais c’est
aussi la mer qui va présider à sa mise en route. Qu’on s’arrête
un moment pour dénombrer les naissances intervenues neuf mois après
le débarquement de Normandie, et on comprendra combien les marées
ascendantes sont destinées à triompher de tout, à mettre l’ennemi
en déroute comme à faire s’ouvrir les cuisses jusque-là bien
soudées des femmes. De quels espoirs ces milliers d’accouplements
sont-ils porteurs ?
Que met-on à l’œuvre dans ces flots de sperme si longtemps
contenus, chauffés, cajolés dans les laboratoires secrets de mâles
trop souvent à la peine pour s’en préoccuper vraiment, et bien
sûr réservés à l’usage exclusif de ce grand rendez-vous, sans
cesse caressé, rêvé, chaque fois repoussé, et finalement advenu ?
Car on ne lésine pas ce soir-là, ni le lendemain, une fois, deux
fois, trois et quatre fois pour certains, une grande et longue fois
pour d’autres, qui se prolonge toute la nuit, où passe tout ce que
peut contenir la nuit, la lune et les étoiles, les chouettes et les
fantômes. Fantômes dont on se rit, qu’on a revêtus d’uniformes
allemands, coiffés de leurs casques, et qui brandissent leurs armes
en gesticulant, grotesques, comme font les enfants qui jouent, se
fichant d’eux-mêmes. De fenêtre à fenêtre on s’interpelle, de
lit à lit les amants s’excitent et s’encouragent, il se pourrait
qu’il y ait des échanges et des parties à trois, à quatre ou à
plusieurs. La victoire est en marche. Le rouleau compresseur des
chenillettes américaines, canadiennes et anglaises transformant les
plages normandes en chaussées des géants trouvent partout un écho
jubilatoire, et partout l’ennemi recule, dont les femmes perçoivent
jusque dans leurs matrices le craquement généralisé des digues en
train de s’effondrer. D’ailleurs, quand les hommes renâclent,
quand ils s’avouent éreintés, au bout du rouleau, quand ils
disent stop et qu’ils baissent le pouce, ce sont elles qui
reprennent l’offensive, les rebelles autant que les recluses, les
amazones comme les Pénélope, les mondaines, les urbaines, les
ouvrières comme les paysannes, toutes. La guerre est mondiale,
n’est-ce pas ?
La victoire se doit donc d’être planétaire. Repeupler le monde,
le réensemencer. On ne la rejouera pas, de toute façon. Pas de
place pour le regret, pour la désillusion, la désillusion, c’est
pour plus tard, c’est après. »
pp.
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