Printemps
1918. Alors qu’à l’autre bout de la France, le tumulte de la
guerre va encore résonner pendant quelques mois, Jeanne naît « dans
une petite ferme » du sud de la Bretagne. « Pas vraiment
le bout du monde, la pointe du Raz se trouve à moins de trois heures
de route et Quimper, la préfecture, à seulement une heure. »
Pas vraiment le bout du monde, mais suffisamment loin pour que les
secousses de l’Histoire ne parviennent jamais qu’assourdies.
La
vie de Jeanne n’est pas un long fleuve tranquille pour autant. Il y
a d’abord la mort de la soeur adorée, une mort à dix-huit ans qui
reste incompréhensible, bientôt suivie par celle du père. Plus
tard, c’est le grand amour, Christophe, qui est éloigné pendant
plusieurs mois par la Guerre, la deuxième.
[…] Prête-moi ta plume est l’histoire vraie – à quelques aménagements près, peut-on supposer, sans que cela ait vraiment d’importance – de la mère de l’auteur, lequel apparaît d’ailleurs, naturellement, dans les derniers chapitres. Malgré ce passage du roman à l’(auto)biographie, on retrouve dans Prête-moi ta plume tout le style délicat, dentelé de Raymond Penblanc. Un style classique qui fait merveille dans cette histoire inscrite dans une Bretagne presque hors du temps.
[...] Il y a chez Raymond Penblanc une certaine
modestie dans l’écriture, une économie qui vise à l’essentiel.
Prête-moi
ta plume n’est
« que » l’histoire banale d’une vie qui traverse le
vingtième siècle, si on veut. Penblanc ne cherche pas à en
rajouter, à imaginer un quelconque moteur narratif qui viendrait se
superposer à la commune réalité. Au contraire, profitant de ce
relatif dépouillement – l’histoire coule toute seule, presque
sans remous -, la narration se concentre sur les êtres.
L’auteur met au point une narration qui colle au plus près chaque
personnage, changeant à tout instant de focale pour mettre en
valeur, les uns après les autres, tous les membres de la famille. La
touchante tendresse qui se dégage du procédé rend presque
imperceptible la grande habileté de cette narration, qu’il faut
saluer. Un bel hommage à celle qui donna à son fils le goût des
lettres, une manière de boucler une boucle très personnelle, intime
même, dans le style déjà familier de Raymond Penblanc, à la fois
éloquent et plein de pudeur.
C’est
qu’il aimerait être brave, sans jamais y parvenir. Et pourtant il
calque son maintien, à défaut de sa conduite, sur des modèles qui
lui en imposent. Ainsi le beau gentilhomme de l’affiche, cette
grande affiche dans son cadre de bois qui annonce le film de la
semaine, et que l’enfant s’empresse de venir détailler chaque
fois qu’il traverse le Champ de Foire. Sur celle qui restera
longtemps sa préférée, on peut voir un gentilhomme en léger
trois-quarts, debout devant son château Louis XIII. De sa main
droite l’homme lisse les poils de sa moustache, tandis que la
gauche prend fermement appui sur la poignée de son épée, dont la
lame s’engage sous son ample cape grise. Et cette épée doit être
bien raide et bien tranchante pour que son empreinte sous la cape
apparaisse aussi visiblement marquée, tandis que la pointe dépasse
de quelques centimètres, avec l’élégance d’un doigt de fée
couronné d’un dé d’argent. Que ce gentilhomme soit richement
vêtu d’un pourpoint rouge, dont le mouvement du bras dégage les
longues poches ménagées dans la manche, ainsi que d’une culotte
bleu pâle, large et bouffante, qu’il soit chaussé d’énormes
bottes et coiffé d’un grand chapeau à plumes, l’intéresse
cependant moins que cette épée, dont la lame relève l’ample cape
grise selon une ligne qui représente le comble de la perfection.
Aujourd’hui, il en est à se contempler dans le miroir en pied de
l’armoire de sa chambre, tout en essayant de reproduire avec la
plus grande fidélité la posture du seigneur de l’affiche. Il a
beau être privé de pourpoint en velours cramoisi et de
hauts-de-chausses, de chapeau à plumes et de bottes, il porte au
côté une longue épée taillée dans la chair tendre d’un
noisetier, dont la proéminence, sous le pan de rideau qui lui tient
lieu de cape, le plonge dans le ravissement. D’autant qu’à
défaut d’être tranchante et de servir à pourfendre les
chevaliers félons, la lame en est toute blanche, dépouillée de son
écorce, rendue lisse grâce au ponçage au papier de verre, blanche
comme l’albâtre, blanche comme le fémur du drapeau des pirates.
pp.
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