Inventer le langage hors du temps d’un corps tétanisé, mystique ou joueur, intime et social
Publié
en avril 2016 aux éditions Lunatique,
ce nouveau texte de Perrine Le Querrec [...] emprunte un nouveau chemin d’invention langagière et rythmique,
pour nous offrir le récit à plusieurs voix enchevêtrées de corps
qui se cherchent, ou qui cherchent des issues à une potentielle
désolation humaine et rurale, cherchant peut-être secrètement à
éviter le chemin promis au Jeannot du Plancher,
à inventer une précoce alternative à la résignation paysanne ou
au confort conformiste qui envahissent paradoxalement le monde.
Trois
amies, sœurs, complices, fillettes que la puberté approche et
menace, leur protecteur réputé idiot du village : une somptueuse
folie à quatre s’élabore sous nos yeux, folie endiablée ou folie
sainte, forçant l’Apparition et ses symptômes de moins en
moins déniables – dit-on, croit-on, affirme-t-on – au cœur du
village qui n’en demandait d’abord visiblement pas tant. Dans la
langue de la confidence chuchotée peut-être à soi seule ou dans
celle de l’hystérie collective, dans la langue secrète des
plus-tout-à-fait-enfants ou dans celle des autorités embarrassées,
une défense stratégique et intime est née, un tourbillon de foi et
de défiance s’est élevé, une attitude vis-à-vis des apparitions
mariales ou autres (qu’elles soient officialisées ou
non par l’Église – rappelons que le dogme n’impose pas aux
catholiques de croire à
ces « manifestations », même lorsqu’elles ont
été reconnues)
s’est échafaudée en toute disparité.
Trois
fillettes se raidissent et se révulsent tout à coup à la nuit, et
le village – peut-être le monde – tremble et flageole désormais
en permanence.
On
songerait peut-être un instant au désespoir qui saisissait les
laïcs comme les religieux de Pierre
Magnan face
aux miracles attribués à la dépouille du Mystère
de Séraphin Monge,
on évoquerait sans doute les hallucinations échevelées dues à
l’ergot de seigle spiripontain du magicien Claro et
de son Tous
les diamants du ciel (dont Perrine Le Querrec se
rapprocherait indéniablement ici par sa faculté de création
syntaxique et poétique), on entendrait peut-être par moments les
voix brisées et indispensables d’Andréas
Becker,
mais cette Apparition est
surtout saisissante par la manière dont elle ne se laisse pas
réduire ou résumer, multipliant les points de vue et les
équivoques, gardant ouverts les possibles, se reposant sur une
singulière puissance poétique qui crépite et fulgure presque sans
cesse, tout en construisant avec rigueur un passionnant et véritable
récit de 130 pages.
Peut-être
plus encore que dans le magnifique Plancher, Perrine Le Querrec échafaude
un système de sens multiples à proposer à une manifestation d’art
brut,
celui assigné à l’enfant, au simple, au fou ou à qui ne veut pas
/ ne peut pas s’adapter (et
la rigidité visionnaire ne pourrait-elle pas être, après tout et
foi mise à part, une autre façon de graver un plancher pour fuir
?), et lui invente un langage rare, intense, pénétrant et
bouleversant, qui doit autant au corps qu’à l’esprit.
Une note de lecture de la librairie Charybde, où Perrine sera invitée à parler et à lire des extraits de son roman, L'Apparition, le mercredi 25 mai, à partir de 19h30.
Une note de lecture de la librairie Charybde, où Perrine sera invitée à parler et à lire des extraits de son roman, L'Apparition, le mercredi 25 mai, à partir de 19h30.
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