Six nouvelles féroces et magnifiques : la douleur infligée aveuglément aux plus jeunes, et ce qui s’ensuit.
Publié en 2015 aux éditions Lunatique, ce recueil de nouvelles de Perrine Le Querrec offre un nouvel aperçu du saisissant talent de l’auteure des romans Le plancher, Le prénom a été modifié et L’Apparition, art d’une écriture originale, concise, violente et poétique que laissaient également bien plus qu’apercevoir les poèmes de La Patagonie.
Dédiées à Henry Darger, intitulées Putain de ma mère, Fourmilière, Foyer, La Vierge, This is the end et La tournée, ces six brûlots parlent en une terrifiante beauté du mal que les adultes et les plus âgés infligent aux enfants et aux jeunes – sans vraiment le vouloir, par égoïsme plus que par calcul, par ignorance, par fatigue ou par conformisme, le plus souvent – et aussi, peut-être surtout, de la manière dont les victimes répliquent, avec leurs pauvres, dérisoires et tragiques moyens.
« Dépêche-toi ! On y va ! »
Porte claquée, elle cavale en tirant sur mon bras, marche trop vite. J’ai des collants gris perle, une mini-jupe, un manteau de fourrure dans lequel je ne peux pas faire un mouvement, une toque de fourrure, du rouge sur les lèvres, des paillettes sur les yeux. J’ai rien demandé de tout ça. Je veux rien de tout ça. Je voudrais un jean un tee-shirt un vieux pull. Je voudrais avoir les cheveux courts, ne pas me laver, sentir mauvais. Je voudrais un blouson de garçon. Je voudrais être un garçon ou un fantôme ou orpheline ou rien. Je voudrais être rien du tout.
On arrive dans une rue pleine de boutiques, elle se sent mieux ma mère, elle commence à respirer.
« Mais quelle tête tu as. Redresse ton menton, ne me fais pas honte, c’est pour toi quand même qu’on est là ! »
Pas pour moi pour toi pour toi pour toi. Je suis ta vitrine, je meurs de ta honte, je meurs de honte. (Putain de ma mère)
Elles évoquent aussi, entrechoquant les mots simples et magnifiquement mal affûtés, les tempêtes solaires monstrueuses qui couvent sous ces cheveux blonds ou bruns, les terribles solitudes qui se déroulent inexorablement, les saluts qui se refusent – alors qu’un mot ou un geste esquissé suffiraient peut-être à éviter les destins qui se nouent ici, en quelques pages.
Photo
: Isabelle Vaillant (l’artiste à qui l’on doit aussi la
couverture de ces Têtes blondes). Son blog
J’ai
6 ans, je n’ai pas le droit d’entrer : « Ils doivent rester
seuls », seuls aussi dans la chambre de mon frère, où j’avais
le droit de pénétrer avant, où il me guidait et me rassurait, car
sa chambre est noire, du sol au plafond, car dans son grand aquarium
les gros poissons dévorent les petits, car il y a des livres que
Maman déchire lorsqu’elle les trouve, elle les déchire en
hurlant, et puis ils partent dans le vide-ordures.
Mes
grandes oreilles captent des rires et des murmures dans la cuisine,
les meringues nécessitent des rires et des murmures, elles captent
aussi la colère de maman, l’eau qui noie papa, le prochain réveil
de ma sœur colocataire. Mais rien ne vient de la chambre de ma
grande sœur. Pourtant d’habitude, c’est de là que se diffusent
les sons et les mots qui rassurent, qui apaisent, même si depuis
quelque temps je ne comprends pas pourquoi elle est si pressée de
partir de la maison, pourquoi ses baisers me vrillent le cœur comme
si c’étaient des baisers d’adieu, pourquoi Papa et Maman se
battent sans cesse avec elle. Quand elle n’est pas là, quand elle
a dormi à l’extérieur, elle m’écrit un petit mot, elle signe
l’Aigle Vengeur, et ses mots sont ma vérité, je les recopie dans
mon cahier et ils me tiennent compagnie jusqu’à ce qu’elle
revienne. (Fourmilière)
Photo
: Isabelle Vaillant
La
lectrice ou le lecteur seront certainement saisis comme moi par cette
puissance d’évocation, par ce langage ramassé et insidieux, et
par la portée dévastatrice des coups que portent les chutes de ces
nouvelles, lorsque le potentiel assemblé en quelques pages dévale
tout à coup la pente, à très vive allure, jusqu’au choc final.
Mêlant le plus féroce niché au cœur de l’intime à ce que les
névroses du monde peuvent déclencher de plus violent, PerrineLe Querrec déroule
une langue à l’apparence évidente qui se révèle à chaque ligne
pleine de pièges et de fils de fer tordus, barbelés. Un recueil
essentiel à beaucoup d’égards.
Elle
a terminé son gilet hier lors du cours « Tricot / Couture ».
Elle se félicite de savoir à présent habiller sa famille avec des
rebuts, des fibres naturelles, papier, carton, fil, laine : elle sait
tout faire. Parce qu’il n’y aura plus aucun magasin, plus rien à
acheter, tout sera dévalisé, détruit, vandalisé, pillé. Parce
qu’il y aura des nuages de cendre, des températures constamment
inférieures à 0 degré. Ou constamment supérieures à 40. Elle
doit être prête. Comment savoir ? Organisation, anticipation,
s’attendre au pire. (This is the end)
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