Dans
la campagne normande vit un « troupeau de bêtes féroces ».
Inspiré
d'une réalité violente et douloureuse, Le Collège de Buchy (de Jérémie Lefebvre) est un récit extrêmement dérangeant, âpre et sans concession. Il
raconte le calvaire d'un jeune garçon, victime de harcèlement
pendant sa scolarité, notamment lors de son entrée en sixième.
« Un
coup dans l'estomac pour le plaisir de me voir fondre en larmes. »
Devenu
adulte et père, le narrateur se souvient, avec une précision aiguë
des brimades verbales autant que physiques des élèves de la classe,
de l'insupportable indifférence des enseignants à l'exception du
professeur de musique ; ressasse sa souffrance et exprime sa soif de
vengeance, sa haine vivace aujourd'hui encore.
Sans
volonté d'atténuer ni d'oublier, le narrateur livre avec brutalité
la cruauté des uns et des autres (tous nommés) à son égard, le
supplice des intercours, du trajet en car, des séances de sport ;
terriblement incisif et éprouvé. Sans détours, sans retenue, il
livre ses envies de meurtre et d'humiliation à l'encontre de ses
bourreaux, inapaisé, tourmenté par des blessures profondes et
incurables. « Je
désire que tous aient horriblement raté leur vie ensuite […]
J'espère de tout mon cœur que pour eux il n'y a pas de Dieu et que
personne n'entend leurs cris dans la nuit. »
« Ma
grand-mère ne comprenait pas la méchanceté ».
Dans
la campagne normande, vit une grand-mère douce et pieuse, assez
innocente pour attendre de Dieu, de l'amour de Jésus, des
rassemblements œcuméniques et des prières quotidiennes, la fin des
souffrances envers son petit-fils et l'émergence du pardon chez ses
tortionnaires. Attente vaine et pathétique, tragiquement drôle. Si
douloureuse.
Dans
la campagne normande, vit un orphelin sensible et fragile, à la voix
de « soprano
angélique ».
Au
fil des pages, le lecteur est partagé entre l'effroi et
l'insoutenable, mal à aise face à tant de barbarie, gêné de
pénétrer dans l'intimité des pensées du narrateur ; presque
coupable aussi d'être le témoin indirect de tant de sauvagerie. Il
a hâte de quitter le récit, dérangé profondément car s'il n'a
pas été victime lui-même, soudainement alors il se sent presque
bourreau à son tour, lorsqu'il a dû, à certains moments (c'est
évident), emprunter des attitudes malsaines ou nonchalantes et des
comportements excessifs, inhérents à l'effet de groupe. Voilà le
malaise instauré dans la tête du lecteur. Et pour longtemps.
La
tonalité, profondément noire et sans espoir de rédemption
indispose et malmène, mais l'écriture, sans fioritures, percutante,
vise juste et bouleverse par sa sincérité, retient le chagrin mais
emplit d'une tristesse profonde et durable. Abasourdi, éreinté et
meurtri, le lecteur n'a plus qu'une urgence, transmettre ce livre à
ses enfants, jeunes adolescents. Pour éviter le pire.
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