Je
suis tombé dans le judaïsme tout petit. À peine né j’étais
circoncis, signe d’allégeance à un dieu qui aurait ordonné
cette pratique à Abraham et à sa postérité. On m’a ainsi
enlevé le prépuce, à l’hôpital et sous anesthésie
générale, pour des raisons non médicales. J’ai du mal à
cerner, encore aujourd’hui, le sens de cet acte religieux
orchestré sous les néons blancs d’une salle d’opération. Je
suppose cependant que j’ai eu de la chance : dans la plupart des
familles juives, les nourrissons sont circoncis à la synagogue ou
chez les parents, au huitième jour. On assoit le bébé éveillé
sur les genoux du grand-père paternel et l’officiant, souvent un
rabbin, arrive avec ses instruments traditionnels : le couteau, le
bouclier et, parfois, un stylet pour détacher le prépuce du
gland. L’officiant entonne des chants religieux, badigeonne le sexe
de l’enfant d’un anesthésiant, fixe le clamp – variété de
pince métallique à mors très longs – au pénis du
nouveau-né qui hurle, avant d’inciser et d’amputer le prépuce
pendant que les hommes prient, chantent, couvrent les cris du bébé.
Les parents n’en mènent pas large mais, devraient-ils avoir un
deuxième enfant mâle, ils le circonciraient pareillement. Quant
à moi, je vis avec mon infirmité : décalotté.
Qu’on
m’ait excisé nourrisson ne valut pas pour autant preuve parfaite
de ma judéité. Je suis en effet issu d’un mariage mixte : si mon
père est juif, ma mère n’est pas juive. Or, selon une tradition
orale, la religion juive se transmet par la mère. Nous rentrions
d’un voyage en Israël, la seule fois que mes parents y ont
séjourné. Ils en sont revenus tout illuminés. Mon père a
aussitôt décidé de nous convertir au judaïsme – les
religieux disent, en verbe intransitif : « régulariser », car
nous étions un peu juifs tout de même –, mon grand
frère et moi. Ma mère ne s’y est pas opposée. Nous
entamerions une conversion par ceux que nous appelons communément
les Juifs « orthodoxes », rabbins du Consistoire de Paris, qu’on
distingue des « libéraux ». Le souhait non dissimulé de mon père
était que mon frère et moi puissions nous marier à la
synagogue. Mon frère avait neuf ans, j’en avais trois de moins.
Cela ressemble à une bonne blague juive.
pp.
13-15
Avec sincérité et humour, Benjamin Taïeb raconte en détail son immersion dans le judaïsme, afin de mieux nous faire comprendre ce qui, aujourd’hui, motive son choix d’en sortir. Fort réjouissant, cet ouvrage n’en est pas moins instructif et documenté.
Déconversion prévue le 17 janvier 2017
Commentaires
Enregistrer un commentaire