« Chéri, tu veux un œuf avec ta charcuterie? »

Janvier est par excellence le mois des bonnes résolutions. Et si vous choisissiez de vous déconvertir ?

À paraître dans les jours à venir.


Lorsque mon frère a été converti, qu’il a fait sa barmitsvah dans la foulée, nous pensions que cela irait vite pour moi. La voie était tracée, ce serait l’affaire de quelques semaines, quelques mois tout au plus. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises avec le Consistoire. Parce que, si j’entamais la conversion en même temps que mon frère, j’étais « régularisé » à peu près au même âge que lui, à plus de quatorze ans et demi. Je ne crois pas que les rabbins aient douté de la sincérité de ma démarche. J’étais certes plus jeune que mon frère et j’ai déjà affirmé combien il m’était difficile d’admettre ce degré de religiosité, empreint de décisions paternelles définitives et souvent contradictoires. Néanmoins, je ne comptais pas faire demi-tour, maintenant que j’étais embarqué dans le processus. Surtout, je ne doutais pas de l’existence de Dieu, puisque mon père avait la foi, et de la nécessité de ma conversion : je me sentais juif, bien qu’on me soutînt, et peut-être aussi, motif plus déplaisant à admettre, parce qu’on me soutint – Juifs ou non-Juifs de l’école primaire et du collège – que je ne l’étais pas. Je connaissais par cœur les principales bénédictions et j’avais, cela dit sans forfanterie, une solide connaissance des fêtes et de la « vie juive » au quotidien. Pourtant, contrairement à mon frère, j’ai été contraint par les rabbins de renoncer, par exemple, à la cantine du collège – c’est mon père qui me préparait les repas du midi, riches en protides : « Chéri, tu veux un œuf avec ta charcuterie? », quatre années durant – et j’ai dû passer plus d’examens religieux que mon frère.
En réalité, je pense que les rabbins ont durci les conditions de la conversion entre la candidature de mon frère et la mienne, pour des raisons politiques. En effet, plusieurs courants dits « modernistes », d’origine anglo-saxonne, tentent de se faire une place entre le Consistoire et les mouvements libéraux. Il s’agirait d’une sorte de troisième voie, prônant plus d’ouverture et de souplesse que le Consistoire mais restant, à propos de la conversion, beaucoup plus proche des positions de l’orthodoxie que de celles des libéraux. Mon hypothèse est que j’aurais, comme tant d’autres candidats, servi de variable d’ajustement à l’outil de régulation de l’institution, « dans la mesure où la possibilité de convertir ou de ne pas convertir constitue, dans le cadre d’une société sécularisée, le dernier pouvoir coercitif dont disposent les autorités religieuses (...) ». Il n’est donc pas impossible que pour asseoir sa légitimité, le Consistoire, face à ces divers courants contestataires, ait adopté une politique consistant à verrouiller un peu plus le « prosélytat ».
pp. 92/93


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