Mélanie Leblanc avait, en juin dernier, interviewé Perrine Le Querrec.
Retour, aujourd'hui, sur la lecture qu'elle avait faite de son roman :
Avec L’Apparition, publié chez Lunatique, Perrine Le Querrec poursuit son travail sur la langue et le corps, aux frontières de la folie. Comme pour chacun de ses romans, elle part d’une histoire réelle sur laquelle elle s’est intensément documentée, fidèle en cela à son travail de recherchiste. Après l’univers de la Salpêtrière au XIXe, celui d’un paysan schizophrène du Béarn dans les années 60 ou d’une femme victime de tournantes à une époque plus récente, Perrine Le Querrec explore l’univers d’un petit village espagnol, Garabandal, dont l’histoire a été bouleversée par des phénomènes d’apparition.
Avec L’Apparition, publié chez Lunatique, Perrine Le Querrec poursuit son travail sur la langue et le corps, aux frontières de la folie. Comme pour chacun de ses romans, elle part d’une histoire réelle sur laquelle elle s’est intensément documentée, fidèle en cela à son travail de recherchiste. Après l’univers de la Salpêtrière au XIXe, celui d’un paysan schizophrène du Béarn dans les années 60 ou d’une femme victime de tournantes à une époque plus récente, Perrine Le Querrec explore l’univers d’un petit village espagnol, Garabandal, dont l’histoire a été bouleversée par des phénomènes d’apparition.
Trois
jeunes filles, Petra, Piera, Pierette, ont des apparitions, tombent
en transe ; leur corps devient dur comme la pierre que leurs
prénoms suggèrent. Après le doute, vient la ruée vers ce village
de montagne, avec la folie qui l’accompagne. Ce livre n’a rien
d’un livre mystique ou à l’inverse d’une analyse rationnelle
de ces phénomènes. Il questionne la langue et en cela, même s’il
s’apparente à un roman, il est aussi un long poème. Quel langage
trouve le corps quand il est empêché ? Ces jeunes filles ont
les montagnes qui barrent l’horizon et empêchent tout possible :
« Emmuré dehors chaque enfant d’Ici-Bas, moi la première.
Mon corps se rebelle pour moi, saigne, demande. » La
puissance symbolique de l’espace est marquée par les déictiques
en majuscule : Ici-Bas, les Alentours, Au-Delà, Enface. Les
apparitions une façon d’entrer dans « la vaste clairière
de l’ouvert », d’exister, de déplacer les montagnes :
« Le Christ penché sur la croix, je décide de l’entendre
et de me mettre à exister (…) Deviendrais-je visible à force
d’apparition ? » dit Petra dans le chapitre intitulé
« L’approche ». La voix de chacune des jeunes
filles se fait entendre dans ce chapitre, à la première personne,
puis plus rarement lors du chapitre suivant, « L’Ascension »,
alors qu’elles deviennent objet, soumises aux regards, aux flashes
et aux diverses expériences pour vérifier le miracle. Cette
polyphonie fait place, dans le dernier chapitre, à la grande voix
qui domine ce livre : celle de Létroit. Il est le marginal de
ce village, le bossu, fils d’une femme bannie pour avoir couché
avec l’ennemi. Lui qu’on dit fou est le seul à les protéger de
la folie de tous, à faire barrière de son corps contre la foule.
« L’étroit ce qu’il veut c’est le calme un peu de
calme rien d’autre que le calme revenu, les enfants libres (…) ».
Pour dire cet homme, Perrine Le Querrec fait entendre sa langue,
donnant raison à Roland Barthes : « Celui qui écrit
est ce mystère : un locuteur qui écoute. » Avec la
particularité de parvenir à écouter-parler une voix que l’on
n’entend pas habituellement et qui ici nous parvient. Une prouesse
d’écriture qui rappelle celle du Plancher, avec la particularité
de penser la langue :
« des
gouffres des sommets des gouffres des sommets
quelle
langue ?
tu
me dures Piera parles mouvementé croîs décrois
Létrois
je
suis tu me regardes
(…)
moi
ton verbe
Ta
langue qui claque claque tes mots qui dddd qui Ma Ma Ma qui rrr rrrr
rrrr o a oa a o a oa a Piera ces gens ici ils noircissent le paysage
ma montagne »
Ainsi,
par la langue, ce livre interroge la marge et les rapports entre les
faibles et les puissants. Ces rapports existent à tous les niveaux :
Ici-Bas vs Enface, locaux vs touristes, enfants vs parents, jeunes
filles vs adultes, sains d’esprit vs fous. A tous les niveaux, les
trois fillettes, faibles parmi les faibles, suscitent un
renversement, en forme d’apothéose avec le monologue final de
Létroit. Un renversement qui ouvre les possibles, donne du souffle à
ce livre et devient source de beauté :
« Il
faudra bien aussi que ceux qui meurent de faim obtiennent leur
rassasiement, que les puissants qui les dévorèrent si longtemps
sachent à leur tour ce que c’est que le hurlement des intestins.
Il faudra. Que les grands descendent que les petites montent. Il
faut. Que la tradition des vainqueurs revienne aux vaincus. Faut. Le
dérangement des habitudes la mise à mort de la normalité. Ecoute.
Les divagations du peuple. Le sursaut du merveilleux. Amarre-toi. Le
monde à l’envers. Ce qu’il a de plus beau. »
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