Un déconverti béni des anges

Converti au changement
Ne pas toucher un interrupteur le samedi, trier les viandes selon que les animaux ont les pieds fourchus ou fendus, savoir quelle bénédiction faire si l'on voit une montagne, si l'on mange une prune... Pour qui n'est pas versé dans les pratiques religieuses, Ma (dé)conversion au judaïsme de Benjamin Taïeb a tout d’un récit de science-fiction. C'est que la religion lui « tombe dessus », alors qu’il n'est qu’un enfant. S'il porte un nom juif par son père, sa mère ne l'est pas, ce qui l'empêche de faire partie du « peuple élu ». Le narrateur suppose donc que « pour mettre fin à cette contradiction mom père a souhaité que je sois converti au judaïsme ». Mais ceci exige de nombreux sacrifices, de la chair que l'on ampute a l’adoubement par le Consistoire qui régit le culte. Le jeune Benjamin et son frère aîné vont tout donner dans ce parcours initiatique imposé par le père. Mais les « longues années d’endoctrinement assidu » se heurtent à la vie quotidienne. Une volonté du « Dieu jaloux » qui a imaginé pour son peuple « une loi pleine d’interdits qui l'empêchent de frayer avec d'autres peuples ».
Le Consistoire se révèle être un lieu soumis aux variations politiques, et la conversion familiale s’éternise et vire au cauchemar.
La force de cet ouvrage réside dans le sentiment d’étrangeté qui persiste tout au long du récit. La lente désillusion, et le déchirement autour de la figure du père. Ainsi bougent les perspectives, les échappées sociologiques, historiques, et les retours sur soi (avec humour). Mais la (dé)conversion prend du temps. Se raser un samedi n’est toujours pas un geste anodin, réflexe pavlovien se demande l'auteur, « Je le fais, mais l'idée que cela me fut interdit m'effleure l'esprit ». Puis surgit la douleur toujours vivace des humiliations, l'intolérance. Mais également une résilience puisque le narrateur, « juif athée », a su trouver dans la culture juive des mots(ments) qui l'apaisent.
Virginie Mailles Viard
n° 179 - janvier 2017

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