Pr. Platypus a eu un véritable coup de cœur pour L'Ange gardien de Raymond Penblanc. Et nous, notre cœur a fondu en lisant ses mots. Du coup, voici l'article in extenso (ce qui ne vous dispense nullement d'aller fouiner sur son site pour y lire d'autres recensions de qualité) : http://profplatypus.fr
« C'est
quoi, le contraire d’un miracle ? », demande au beau milieu
d’une scène de panique un des personnages de L’Ange gardien.
Bonne question. Le mot correspondant serait bien utile dans certaines
circonstances mais la langue française n’a pas, à moins de se
contenter d’antonymes imparfaits, jugé bon de l’inventer.
Comment évoquer alors la série de malheurs qui frappe l’institution
respectable de la Mère-Dieu, qui commence avec le spectaculaire
meurtre par strangulation d’une élève par un professeur, et se
poursuit avec, entre autres, la mort terriblement ironique du prêtre
dans sa propre chapelle ?
Catastrophe
? Malédiction ? Décidément, non, aucun de ces mots ne saurait
expliquer le curieux effondrement qui frappe cette école privée. Un
effondrement des certitudes, des valeurs que l’on croyait communes,
des perspectives d’avenir aussi à mesure que les parents retirent
leurs enfants, échaudés par les événements. Dans la tourmente,
seul semble résister celui qui nous sert de guide et de narrateur,
l’ange gardien de l’établissement ou pour le dire plus
simplement : son homme à tout faire. Nettoyer la cour, ouvrir et
fermer les salles de classe, entretenir le parc… Autant d’activités
que le narrateur accomplit quotidiennement et qui lui permettent au
passage de veiller sur (ou de sur-veiller) la Mère-Dieu, de choyer
ses pensionnaires les plus prometteurs et de rester au courant de
tous ses petits secrets.
L’Ange gardien
a de quoi dérouter temporairement les lecteurs qui connaissent
Raymond Penblanc. On ne lui connaissait pas ce style plein d’incises
humoristiques, plus féroce que celui qui régnait dans Phénix et Prête-moi
ta plume,
dont l’écriture paraissait plus classique, plus lumineuse. On ne
s’attendait pas forcément non plus à cette ambiance légèrement
délétère, grinçante même si Phénix
comportait son lot de cruautés et d’ironie. Le début de L’Ange
gardien nécessite ainsi un temps de réajustement, qui se termine lorsqu’on
réalise que la continuité existe, et qu’elle se trouve dans le
regard, ou plutôt les regards, que porte notre narrateur sur le
petit monde qui l’entoure. Car il y a comme précédemment chez
Raymond Penblanc un rapport, contrarié d’ailleurs, entre un regard
à ras-de-terre, fixé sur les préoccupations concrètes du
concierge, le regard surplombant qu’il pose sur les autres employés
de la Mère-Dieu, et celui qu’il porte vers les hauteurs et
notamment sur les oiseaux – qu’il s’agisse des pies qu’il
pourchasse ou du ballet des étourneaux qu’il admire. Symboles
émouvants d’une transcendance pleine de grâce et de caprice, les
oiseaux reviennent régulièrement dans les préoccupations du
narrateur.
« Dans
ma cathédrale de verdure, mon père, je souhaite simplement qu’on
règle le choeur des oiseaux. Les oiseaux sont toute ma religion. Le
reste, je m’en occupe. »
La
vie terrestre, par contraste, est sujette à bien plus de turpitudes.
Si des éclats de bonté peuvent redonner foi en l’humain, le pire
n’est jamais sûr dans L’Ange gardien,
et démêler le sacré de l’infernal n’est pas chose évidente.
Ce n’est pas un hasard si un des épisodes centraux est constitué
par la mort du prêtre, ni si la scène inaugurale de la
strangulation est reproduite en miroir, plus loin, par le geste de
Martial, un élève doué en chant – comme le héros de Phénix,
notera-t-on -, se massant le cou avant d’entonner une cantate si
belle que le narrateur croit voir s’envoler son âme par sa bouche.
Dans une des scènes finales, la perspective d’une mort par
étranglement est même considérée, une seconde, comme une forme de
salut. L’écart entre béatitude et perversité se révèle ainsi
bien faible : une simple question de perspective. Une nouvelle fois
se pose le problème du rapport fragile à la transcendance, de la
corruption de la pureté – fût-elle une pureté pesante et
moribonde comme celle de l’institution de la Mère-Dieu, ou naïve
et par définition éphémère comme celle de Martial – par un
environnement toxique.
Cette
interrogation toujours fertile en contrastes et en clairs-obscurs
chers à Raymond Penblanc se déploie cette fois sur le fond d’une
chronique plutôt malicieuse de la vie quotidienne de
l’établissement. Si les noms des membres de l’équipe éducative
– Monsieur Rouste le principal, Hérode le professeur d’EPS,
l’intendant Barilla, parmi d’autres – annoncent déjà le ton
plutôt rieur de l’ensemble, il faut noter quelques scènes
remarquables, comme celle qui transforme la course derrière les
feuilles mortes à ramasser en une épopée miniature, et notre ange
gardien en Quichotte armé d’un râteau.
Si
Raymond Penblanc maîtrise à merveille ces parenthèses burlesques,
il n’en demeure pas moins que les enjeux de L’Ange gardien
sont des plus graves, et que l’intrigue s’achemine vers un
dernier anti-miracle qui touche cette fois un des personnages les
plus attachants de la Mère-Dieu, qui disparaît dans une scène où
sont convoqués les feux de l’Enfer – à moins qu’il ne
s’agisse d’un bain de feu purificateur. Tout est question de
perspective, encore une fois, et bien malin qui saura séparer, dans
le final de L’Ange gardien,
les principes de la vie de ceux de la mort. Plus énigmatique sans
doute que d’habitude, et plus intrigant que jamais, Raymond Penblanc se garde bien de nous donner trop de clés. Un anti-miracle,
dans le sens où le miracle se révèle instantanément dans toute sa
gloire. À l’inverse, Penblanc choisit une construction faite de
détours et de dévoilements partiels qui font tout le sel de L’Ange gardien.
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