À l'occasion de la sortie de la réédition de Pour que demain vienne, Corine Pourtau sera l’une des sept invitées et invités de la « Soirée de la nouvelle », mercredi 15 mars prochain à partir de 19 h 30 à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris), avec les éditeurs Antidata, L’Atelier de l’Agneau, Le Chemin de Fer et Lunatique.
Note de lecture postée
par charybde2
⋅ 1 mars 2017
Cinq
nouvelles de l’ironie du sort et du destin joliment accablant.
Cinq
nouvelles d’espoir et de désarroi, de tendresse désarçonnée, de
choses qui auraient pu mieux tourner, d’humour noir et d’ironie
du sort, parfois assenant leur simplicité diabolique en un coup
fatal, parfois développant une ruse machiavélique pour porter leur
estocade. Qu’il s’agisse des retrouvailles tardives et délicates
entre une jeune mère éplorée et son ex-adolescent fugueur (« Valse
lente »),
d’une jeune Ukrainienne fuyant désespérément la cave française
des trafiquants humains qui l’ont saisie (« Pas
de deux »),
d’une tentative pour, après bien des périples, retrouver l’enfant
jadis confié à l’adoption (« Pavane »),
ou d’une soirée de dédicace en librairie très inhabituelle pour
une adolescente dont ce n’est certes pas l’habitude
(« Bacchanale »),
Corine Pourtau
excelle à manier, chaque fois en une vingtaine de pages, l’art du
malentendu dramatique, de l’attente tragiquement déçue, ou de
l’ironie du sort. Avec un léger sadisme paradoxalement fort
réjouissant à la lecture, elle élabore ces fragiles et beaux abris
de mots pour espoirs fugitifs et pour illusions perdues, usant d’une
certaine féérie dans la tourmente et dans la nuit.
Elle
l’imaginait dans sa vie d’errant, seul ou accompagné de
déracinés volontaires comme lui. Ses modèles étaient les jeunes
gens qu’elle croisait en ville ou qu’elle apercevait sur des
terrains vagues depuis les vitres de sa voiture quand elle roulait
sur le périphérique ; ces petits poucets pétris de rebelle
solitude qui s’entouraient de gros chiens la bave à la gueule pour
se rassurer bien plus que pour provoquer les passants. Elle le voyait
dans la crasse et le froid, affamé, ivre au milieu des autres,
dormant sur le bitume. Les filles. Les seringues qui circulent. Les
moments d’hébétude. Au début, la nuit, elle l’entendait qui
pleurait et l’appelait. De sa voix d’autrefois, sa voix d’enfant
craintif, dont le filet tremblant traversait le noir de la chambre
porté par l’espoir de sa présence miraculeuse. Elle se réveillait
en sursaut, parfois même sortait de son lit et ne s’arrêtait que
dans le couloir. Toutes ces années, elle avait pensé à lui comme à
un petit garçon qui pleurait la nuit et qu’elle ne pouvait plus
consoler. Jamais elle ne l’avait envisagé heureux.
(« Valse
lente »)
Le
recueil ouvrira sans doute une résonance avec les Têtes
blondes
de PerrineLe Querrec,
dont le scalpel est toutefois peut-être moins systématiquement
féroce et plus poétiquement acéré, chez le même éditeur,
Lunatique,
qui rééditait récemment ce recueil de Corine Pourtau
initialement paru en 2012 chez D’un
noir si bleu.
Les personnages attachants et frêles se déplacent ici comme dans un
champ de mines savamment disposées, sous les yeux à la fois
bienveillants et – rapidement – angoissés de la lectrice ou du
lecteur.
S’écraser
morte au pied du mur.
Elle
s’était pourtant rétablie d’une torsion, instinctivement, d’une
sorte de salto avant, le crâne et la peau du dos râpés par le
crépi, et elle avait atterri sur ses pieds. Pour la première fois
de sa vie, elle avait béni son gabarit minuscule, ses hanches
étroites et sa poitrine plate. Eux, bien sûr, n’avaient pas
imaginé que l’une d’entre elles pourrait y passer, par cette
lucarne de maison de poupées…
La
nuit l’avait enveloppée et elle s’était sauvée aussi vite
qu’elle avait pu, à l’aveuglette, les mains en avant pour se
protéger d’invisibles obstacles, comme ces enfants poursuivis par
Baba Yaga, dans les contes de son enfance. Son cœur cognait dans sa
poitrine comme un petit singe emprisonné qui se jette en glapissant
contre les barreaux de sa cage ; l’air froid lui brûlait la gorge
; des larmes coulaient toutes seules, froides et tranchantes… Des
éclats de verre sur ses joues…
Elle
n’avait pas couru très longtemps. Quoi faire dans le noir ? Dans
quelle direction aller ? Comment se repérer, avec ces arbres denses,
ces ornières où elle s’enfonçait, cette pourriture de feuilles
mortes gorgées d’eau sur laquelle elle ne cessait de glisser ? Les
yeux agrandis de terreur, elle imaginait des ruptures de pentes, des
précipices où elle tombait, déchirée par les angles aigus des
pierres, et où elle agonisait longtemps, sans personne pour venir à
son secours.
(« Pas de
deux »)
Une
mention toute particulière doit être faite de la cinquième et
dernière nouvelle, « Séguedille »,
tour de force halluciné mêlant authentique vie de star
internationale nourrie intensément aux clichés people (y compris
aux plus élégants d’entre eux) et glissade irrépressible dans le
drame quotidien et banal du sans domicile fixe, sur fond lancinant de
drame adolescent fondateur. Du grand art incantatoire, en toute
discrétion – art dont je ne produirai pas ici de citation afin de
ne pas risquer d’en dévoiler la subtile mécanique.
Puis
elle avait aperçu le livre du coin de l’œil dans la vitrine…
L’illustration de couverture l’avait arrêtée. On y voyait une
jeune fille de profil, la tête légèrement baissée et appuyée
contre une vitre embuée. Il se dégageait de l’ensemble une
impression de douceur et d’accablement à la fois ; la position
suggérait une tension vers l’extérieur, une attente : la fin
d’une averse au-dehors peut-être, ou l’avenir symboliquement
signifié comme incertain, fragile, par cette buée qui obstruait à
l’observateur de la couverture tout autant qu’à la jeune fille
de l’illustration l’au-delà de la vitre. On avait envie de
comprendre ce qu’elle attendait, cette fille, ce qui la tenait
collée là ; on sentait tout l’ennui d’un après-midi gâté par
le mauvais temps aussi bien que la mélancolie engendrée par les
heures qui passent dans un désir d’absolu que rien ne vient
incarner.
(« Bacchanale »)
Pavane
Ils
avaient marché en silence, l’un derrière l’autre, jusqu’en
haut de la falaise où l’air chargé d’embruns avait fait
remonter jusqu’à eux l’odeur soufrée des laitues de mer. Là,
ils s’étaient assis au sec, sous un surplomb rocheux, et Marc,
soupirant un « Caro, si tu savais... », avait posé sa tête sur
ses genoux. Pour la première fois, elle n’avait pas senti dans ce
geste la désinvolture et la familiarité qui d’ordinaire les
raccrochaient à l’enfance. Il y avait eu au contraire quelque
chose d’impérieux, de possessif et de sensuel abandon en même
temps. Puis il avait tourné son visage vers elle, un petit rire
d’excuse avait fusé de ses lèvres pleines, dans lesquelles elle
avait été prise d’une envie soudaine de mordre doucement. Elle
n’en avait rien fait, bien sûr, cependant Marc avait dû sentir
cette impulsion. Il s’était relevé brusquement et il était
resté nerveux le reste de la journée.
Depuis
ce moment, les choses n’avaient plus jamais été les mêmes.
Des années, ils s’étaient touchés sans y penser, s’étaient
emmêlés les bras et les jambes dans leurs jeux d’enfants,
avaient appuyé leurs têtes l’une contre l’autre sous la
lumière d’une lampe pour feuilleter le même livre d’images.
Des années, ils s’étaient empoignés, ils avaient chahuté,
roulé ensemble sur la pelouse ou sur le sable. Et d’un seul coup,
au retour de cette promenade sur la falaise, ils ne s’étaient
plus touchés.
pp.
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