« Ce
roman est saisissant. Il a attendu 40 ans avant d'être publié.
Respect aux éditions
lunatique de
l'avoir sorti. Le texte est surprenant de modernité, de lucidité.
Le propos est éclaté, déconstruit tout en restant cohérent.
L'homme et la machine. L'usine et les ouvriers. Du point de vue du
travail, de la vacuité, de la misère humaine, du haut de sa tour
l'usine observe parfois. Certains chapitres (notamment celui sur la
maison du Travail et la maison de la Mort) nous plongent dans un
absurde kafkaïen des plus sombres et des plus hilarants. C'est sans
concession. Tout ce temps dédié au travail, et l'amour dans tout
cela ? La misère sexuelle de décrite par Houellebecq fait petit
bras face à la description des toilettes dans l'usine avaleuse
d'hommes et dévoreuse de désir. On en sort secoué, chamboulé et
on se dit qu'on a de la chance de ne pas bosser à l'usine ! »
Nous
sommes impuissants à lutter contre les machines qui travaillent à
notre place et qui silencieusement nous empoisonnent. Tous ces
mécanismes complexes, qui tendent leurs tentacules d’acier, de
plastique et de béton à travers les sous- sols et le ciel de la
ville, comme une pieuvre hideuse, sont au service du pouvoir. Un
pouvoir de moins en moins palpable, mais de plus en plus oppressant,
un pouvoir auquel il est devenu impossible de donner un nom, de
mettre un visage. Qui, le matin à l’aube, été comme hiver,
appuie sur les boutons et pousse les manettes ? Qui dirige les
métros aveugles ? Qui rassemble les informations et commande à la
monstrueuse machine qui étend ses nerfs électroniques à travers
la planète tout entière, jusqu’au sommet des montagnes et au
cœur des déserts ? Qui tire profit des bénéfices de la
production? Y a-t-il seulement encore une production et des
bénéfices ? Nous autres nous n’en savons rien, et moi, moins
que quiconque. Dans les meilleurs cas, nous pouvons aborder des
fonctionnaires subalternes qui n’ont pas l’air d’en savoir
beaucoup plus que nous. Ce pouvoir abstrait nous frappe d’une
véritable inertie. À qui devons-nous maintenant nous adresser? Le
pouvoir est-il devenu tellement honteux qu’il soit obligé de se
cacher ? Peut-être n’y a-t-il plus de pouvoir ? Peut-être
pourrions-nous sortir librement de la ville? Mais oserions-nous ?
Nous ne savons rien de l’extérieur, nous ne savons même pas
qu’il y a un extérieur. Nous avons oublié jusqu’au nom de la
planète qui nous supporte.
Nous
sommes là à tourner en rond dans le labyrinthe de murs lépreux
qui constituent la majorité des façades des rues, à errer sans
n dans l’obscurité du réseau souterrain. Nous mangeons aux
soupes populaires. Nous dormons furtive- ment quelques heures dans
les asiles de nuit. Nous cherchons avec désespoir un bureau de
chômage qui accepterait de nous prendre en charge. Nous
préférerions vivre humblement en travaillant plutôt que de
mourir avec lenteur et impuissance en face des usines chimiques et
atomiques qui sont notre seul environnement. Ces usines qui nous
tuent avec leur gaz et leurs radiations invisibles et inodores. Mais
l’espoir de trou- ver du travail est devenu une illusion, un
fantasme hérité d’une autre époque. Même les industries du
spectacle et des loisirs nous sont fermées, quand il n’y a plus
de travail il n’y a plus de spectacle, il n’y a plus de loisirs.
Il ne nous reste que l’ennui.
pp.
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