Une
machine qui n’est pas totalement automatisée est une plus grande
aliénation pour le travailleur qu’un simple instrument à main.
C’est la machine qui impose son rythme. La machine est inhumaine
parce qu’elle n’est pas en harmonie avec le rythme biologique de
mon corps. Un travailleur qui travaille sur une machine est sans
arrêt crispé, car il doit maintenir une cadence étrangère,
imposée par des normes qui lui sont extérieures. Il s’attend à
tout moment à être victime d’une défaillance de la machine,
ou de sa propre défaillance.
Je
n’aime pas sentir l’acier de l’outil qui pénètre ma chair.
Les instruments à main, mus par la seule énergie humaine, même
s’ils sont fatigants et présentent les limites de la
spécialisation, peuvent lorsqu’ils sont utilisés librement
être un prolongement de la pensée et apporter une satisfaction
personnelle à celui qui s’en sert. Il y a peu de travailleurs qui
parviennent à s’identifier à la machine comme s’il s’agissait
d’un prolongement naturel d’eux-mêmes. Ceux qui y arrivent ont
dû surmonter beaucoup d’obstacles de leur corps et de leur
cerveau. Ce sont des yogis d’usine. C’est étonnant de voir
travailler ces ouvriers avec lenteur, ne donnant pas l’impression
de forcer leur allure et menant la machine au lieu d’être menés
par elle. Pourtant, sans en avoir l’air, ils sont plus rapides et
plus productifs que les autres. Ils s’emmerdent moins également,
mais ne sont pas à l’abri d’un accident du travail.
Une
machine, pour être une bonne machine, doit fonctionner toute seule.
Les machines les plus dangereuses sont celles qui n’exigent qu’une
présence, que le contact d’un doigt qui appuie sur une touche.
Celui qui regarde cette machine en ignore tout. Il n’use plus ses
muscles sur les manivelles. Il ne ressent plus les vibrations, qui
parfois peuvent provoquer des érections, quand les vibrations
correspondent à certains rythmes sexuels.
La
machine ajoute à la division sociale sa propre division, sa propre
imperfection. En plus de l’aliénation à la nature, de
l’aliénation aux hommes, s’ajoute l’aliénation à la
machine.
Ceux
qui ne connaissent des machines que la perceuse Black & Decker du
bricoleur, le clitoris de leur voiture de sport, le moulin à café
et le rasoir électrique, ceux qui ne connaissent que les
instruments ménagers qui transforment leur épouse en coléoptère
bourdonnant et en technicienne d’intérieur, ceux en n qui ne
connaissent de la technologie que le bras de leur chaîne hi-fi, les
boutons du flipper ou les touches du juke-box ne peuvent peut-être
pas comprendre cette haine pour les machines.
Je
ne suis qu’un complément vulgaire de cette machine qui m’a
annexé. Je ne suis que son prolongement humain et servile. J’ai
envie de pisser !
pp.
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