Écrites
il y a plus de quarante ans mais oubliées dans un tiroir par leur
auteur, ces « histoires d'usine » trouvent finalement
leur place dans une collection baptisée « Parler debout »
qui se veut « édifiante » selon le terme de l'éditeur.
Édifiants, ces textes largement autobiographiques le sont. Né en
1942, Yves Le Manach parle en effet en connaissance de cause.
D'expérience il sait, pour l'avoir ressenti au plus profond de sa
chair, que le travail en usine est toxique. À force de répétitivité
sous l'œil du chronomètre et du contremaître, les hommes y
deviennent des « êtres
rabots par les exigences des machines ». « Je ne suis
qu'un complément vulgaire de cette machine qui m'a annexé. Je ne
suis que son prolongement humain et servile »,
déplore, usé, consumé, le narrateur d'un des nombreux textes qui
composent cet ensemble acide et kafkaïen. À l'intérieur des
ateliers mais aussi à l'extérieur, puisque l'usine imprègne toute
la psychologie de l'homme jusqu'à le conditionner dans sa vie
privée, et même dans ses besoins primaires, il est à peu près
toujours question d'une aliénation apparemment indépassable. La
vision est sombre d'un homme ayant intériorisé sa servitude. C'est
que Le Manach observe, constate, dénonce la lente décérébration
des uns, la silencieuse déshumanisation des autres, celle-ci bien
plus forte qu'une fraternité de classe douteuse. « Producteurs
sans humanité, les travailleurs sont les consommateurs de
l'inhumanité »,
fulmine-t-il à un moment, renvoyant dos à dos collectivisme et
libéralisme. Des années 70 à aujourd'hui, au fond, est-ce si
différent ? Comme l'usine hier, notre société connectée ne
produit-elle pas des spectres ? Pour êtres plus raffinées et
ludiques, nos servitudes contemporaines n'en sont pas moins
aliénantes.
Anthony
Dufaisse
LeMatricule des anges, juillet-août 2017
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