Les encombrés de la vie: la ritournelle de Perrine Le Querrec
Quand
on lit dans certaines critiques du dernier livre d'Anne Garreta, Dans
l'béton,
que l'auteure « tord » la langue, la
fait « trembler », tout ça parce qu'elle
élide quelques articles, la joue phonétique en mode Zazie et
tripote un argot de série noire, on a envie de dire, allez voir
ailleurs, allez voir du côté de Perrine
Le Querrec,
et après, si vous le voulez bien, on reparlera torsion de la langue.
Laissons donc tomber l'béton mou du roman précité et plongeons
plutôt dans La
Ritournelle,
le dernier livre paru de Perrine
Le Querrec (bon,
il est publié par les , pas chez Grasset, c'est peut-être
pour ça que vous en entendrez moins parler – dingue, non ?).
La
Ritournelle,
c'est un lieu et quelques corps, un lieu-maison où Eugen, le fils,
entasse, entasse, ou plutôt continue d'entasser, puisque c'était là
l'activité première de la mère délirante-dévorante, Suzanne, et
depuis Eugen s'enterre et survit en taupe dans l'accumulation,
faisant de sa demeure un corps-décharge, mais organisé, les
objets-organes étoffant l'effrayant vide matriciel qui lui a été
légué. Pour l'auteure, il s'agit donc de faire entrer dans la
phrase ce surplus effrayant, ainsi que la conscience syllogomaniaque
qui s'y meut plus ou moins aisément. La phrase devient la pathologie
décrite, elle aussi enfle, déborde, bascule, mais elle épouse
l'innommable de tous ses nerfs sympathiques. Ici, on ne dit pas, on
ne raconte pas, c'est la matière affalée qui parle au moyen de la
syntaxe :
« Comme
les trous du corps sont étranges et le vent froid qui s'y engouffre,
frissonne Eugen en quête de plusieurs couvertures à ajouter pour
boucher les trous, grands et petits, qui apparaissent disparaissent
envahissent. Eugen grelotte se plie plus petit au fond des
couvertures les pouces dans les trous. Au creux aveugle des
couvertures, sourd, sorte de malacostraca plus loin à la recherche
d'un endroit sourd et aveugle vers le centre d'une terre inconnue, un
noyau chaud, toutes pinces en avant la tête soudée au thorax à
réduire les couvertures en sable, la suée en eau. »
Enfant-crabe,
enfant-crevette, Eugen s'obstine à s'enfouir, et quand il court,
c'est à l'intérieur de lui-même, pour mieux se cacher tout en
rêvant secrètement d'être découvert, à la différence de
Georgia, sa sœur, éprise de rose et d'assauts charnels, qui lui
rend régulièrement visite, en souvenir de leur enfance confite dans
la folie maternelle. Il y a le père, aussi, et Roma la Naine, qui
tapine. Mais on n'est pas au cirque, la langue ne joue pas ici les
caniches savants. Chez Perrine
Le Querrec,
où l'écarté a droit à la parole et à l'espace, où le révulsé
de la société peut participer à la "parade magique", la
langue ne recule jamais, elle s'enfonce, elle froisse, fore, et ce
littéralement, en bordure d'un monde à part que l'auteure appelle
dans ce texte « Certitude », et où s'intégrer
n'est plus de mise. La langue prend en charge tous les débords, et
sait dire le trauma d'une enfance défigurante :
« C'est
ainsi que s'effondrent les animaux subitement à quatre pattes Eugen
à genoux sur le sol de l'abattoir, Suzanne crache des nuages de
phalènes blanches, des morts minuscules des morts immenses les unes
nourrissant les autres au nez et à la barbe de l'enfant crevant de
faims multiples. »
Texte
tout en concrétions et sidérations, La
Ritournelle brasse
l'animal et le végétal, l'humain et le minéral dans une même
dynamique, avec une obstination dans la scansion entrant en écho
avec le travail de Guyotat. C'est le quinzième livre publié
de Perrine
Le Querrec depuis
2011, et on s'en veut d'être passé à côté de cette œuvre
souterraine et puissante. Promis, on va se rattraper.
_________
Note:
Les éditions
Lunatique ont
un site.
Autre ouvrage publié récemment par le même éditeur : L’heure
du poltron,
un recueil de nouvelles de Marie
Freringdont
je vous parlerai également bientôt, ailleurs.
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